Dans le couloir

Billy avait réussi à gagner un peu de temps en changeant son tour de passage pour l'interrogatoire. Toutefois, il avait l'impression que le temps jouait tout de même contre lui.
L'idée de revenir les mains vides lui donna véritablement des ailes. Il se retrouva vite (tout essoufflé et transpirant, certes) au niveau des chambres.

Plié en deux à cause d'un point de côté qui l'avait attaqué en traître alors qu'il était presque arrivé, il fut alerté par des bruits.
Tel un fugitif poursuivit par toute la police du monde, il se figea. Peut-être avait-il imaginé qu'il aurait pu se faire passer pour une statue. Il dut réaliser la sottise de cette idée car il se plaqua ensuite contre un mur, en traînant la jambe.
Billy tendit alors l'oreille pour identifier l'origine du bruit. Il reconnut des discussions. Sans doute des femmes de chambre.

Il devait faire vite !

S'il avait été plus mince, il aurait sans doute tenté un petit saut, suivit d'un cumulet pour se retrouver en un rien de temps près de la chambre du Docteur. Mais vu sa corpulence, il réalisa bien vite qu'il ferait un affreux vacarme.
Et puis, pourquoi devait-il entrer comme un voleur ? Il veillait au bon déroulement de l'enquête ! Il devrait rentrer fièrement dans la chambre et non chercher à rester discret.
Finalement estimant qu'elles étaient dans un autre couloir, du moment qu'il ne faisait pas trop de bruit, il pouvait encore se rendre sur le lieu du crime avec une certaine dignité. Il sortit donc un mouchoir et s'épongea le front avant de se décider enfin à se rendre fièrement mais silencieusement devant la porte du docteur narcisse.

Il commença son inspection sur la porte, pour voir si elle n'avait pas été forcée. Remarquant que non, il en déduisit une première chose : le docteur connaissait son assassin. En réalité c'était évident, comme ils étaient isolés, que la victime connaissait son assassin mais Billy ne s'en était pas rendu compte et était donc plutôt fier de sa première découverte.

Il remarqua alors la présence d'un cachet en cire. Il ne culpabilisa pas longtemps sur ce qu'il devait faire. Il était policier, et devait inspecter le lieu du crime. On comprendrait certainement qu'il décolle le cachet, n'est-ce pas ?

Il se pencha donc et commença de gratter délicatement le cachet, avec l'intention de le remettre après évidemment, lorsque soudain...

Ernestine était en train de superviser la fermeture de toutes les portes de l'étage lorsqu'une ombre, très imposante pour une ombre, passa à l'extrême gauche de son champ de vision. Intriguée, elle se retourna et s'approcha du bout du couloir, où la présence venait de disparaître. Il était évident que quelqu'un venait de pénétrer dans le couloir qui menait à la chambre du docteur Narcisse. Prise d'une fureur froide, elle s'avança d'un pas rapide, faisant claquer ses chaussures sur le parquet, et ne s'arrêta que lorsqu'elle eut l'intrus face à elle. William Hawkins, tiens donc... Ce gros lourdaud serait-il en train d'envisager d'entrer dans sa chambre ? Elle l'interpella d'une voix sèche, dont le calme professionnel dissimulait mal son mécontentement. Son anglais était correct, rigide et scolaire, mais affligé d'un fort accent français :

"Mister Hawkins ?!! Puis-je savoir ce que vous faites ici au lieu d'attendre au salon ?"

Gratter délicatement le cachet avec des doigts aussi boudinés que les siens étaient quelque chose de difficilement faisable voir impossible.
S'il avait eut des ongles assez longs, peut-être aurait-il éviter d'attaquer la cire tel un barbare... sans résultat. Malheureusement, Billy avait la désagréable habitude de se ronger les ongles.
Une voix sèche le fit sursauter suivit d'un mouvement de recul ce qui eut pour effai de détacher enfin un petit bout du cachet en cire.
Il n'eut pas le loisir de s'enthousiasmer de cette petite victoire parce qu'il faisait maintenant face à l'intendante.
Sa certitude de faire son devoir de policier fondit aussitôt comme neige au soleil quand il croisa le regard sévère d'Ernestine.
Il se retrouva vite à se justifier comme un gamin.

"Hé bien... c'est que... voyez-vous... je..."

Il dut se rendre compte lui-même qu'il donnait un triste spectacle pour un officier et il reprit un peu de poil de la bête.

"J'allais inspecter le lieu du crime pour faire une description exacte à l'inspecteur lors de mon interrogatoire. Le fait qu'il enquête de l'extérieur pourrait gêner la découverte d'indice pour résoudre l'affaire. Savoir tout du lieu du crime est au moins un minimum et comme il ne pourra le faire lui-même, je compte lui apporter mon aide." Récita-t-il rapidement en relevant la tête.

Dès qu'elle comprit où le bonhomme voulait en venir, c'est à dire au beau milieu de son "rapport", l'intendante leva les yeux aux ciel et poussa un gémissement grinçant en tordant sa bouche de la grimace assortie. Etait-ce donc trop demander que chacun reste à sa place ? Elle se sentit soudain épouvantablement agacée à l'idée de devoir lui expliquer en quoi il avait tord d'être ici. Et ne le cacha pas en répondant, un ton plus haut, à l'instant où il eut cessé de parler, en insistant particulièrement sur certains mots :

"Peu importe, vous n'avez pas le droit d'être ici, vous êtes un suspect, vous comprenez ?!!! Si vous voulez aider l'inspecteur, restez calmement au salon en attendant votre interrogatoire. MAIS ?!! Qu'avez-vous fait ?!!!!!"

Elle contourna l'inspecteur en trombe et ne put que constater qu'il avait endommagé le cachet du scellé, il faudrait qu'elle s'échine à le refaire. Elle le foudroya du regard, plus abasourdie que furibonde, ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais se ravisa. Son expression revint à la normale, la colère en plus, et elle empoigna l'avant-bras du patient réfractaire en l'exhortant à la suivre sans ménagement. Peu importait la politesse envers les curistes dans cette situation : ils ne pouvaient pas réclamer un remboursement alors que leur séjour était terminé et qu'ils les hébergeaient et les soignait gratuitement pour un mois encore.

"Allons !!! Pressons ! Il est temps de descendre au salon pour démarrer les interrogatoires."

Sa colère froide lui faisait hacher les mots et employer un ton désagréable qui ne pouvait pas être excusé par sa seule mauvaise maîtrise de la langue.

[Salon, en attendant l'interrogatoire]

Williams Hawkins imaginait que son discours convaincrait l'intendante et avait même l'illusion qu'elle l'autorise à continuer son ouvrage qui était capital au bon déroulement de l'enquête (avait-il besoin de le répéter).
Mais il réalisa bien vite qu'il se trompait lourdement.

Devant les paroles de l'intendante, il parut de plus en plus choqué. Surtout quand elle l'accusa d'être suspect.

"Shocking ! Je ne suis pas un suspect. Je suis policier, je fais mon travail. Quelqu'un qui arrête des criminels ne peut devenir meurtrier et..."

Alors qu'il allait ajouter qu'il n'avait aucune raison de s'en prendre au docteur, qu'il avait un alibi, qu'il n'avait rien fait pour être suspect et d'autre chose dans le genre, il sursauta quand l'intendante inspecta le cachet qu'il avait partiellement réussi à retirer (victoire dérisoire à présent vu le savon qu'il se prenait).
Quand Ernestine fit mine de dire quelque chose, Williams mit les mains sur les hanches comme un lutteur de sumo prêt à recevoir l'attaque ennemie et à riposter.
Voilà pourquoi, alors qu'il s'attendait à un nouveau round d'une joute verbale, il fut prit au dépourvut et n'offre aucune résistance autre que son poids lorsqu'on lui saisit l'avant-bras.

La surprise passée, il essaya de protester en disant qu'elle empêchait le déroulement de l'enquête, que c'était un scandale et peut-être que son insistance la rendait super suspecte ! Toutefois, la colère froide de l'intendante l'en empêcha.
Aussi, William suivit Ernestine avec tout l'enthousiasme d'un gamin qu'on envoyait au coin.

[Salon, en attendant l'interrogatoire]