Crise de conscience.

Il ne savait plus depuis combien de temps il était là. Des heures sûrement.
C'aurait put faire des mois...
Antoine était allongé en prière sur le sol de la petite église alsacienne de la commune de Wuenheim, abandonnée de ses habitants, réquisitionné par l'armée française pour installer le poste arrière, avec le camp pour les prisonniers, et l'hôpital de fortune pour les blessés.

Depuis quelques heure, l'état major était en alerte. L'ennemi avait décidé de passer à l'action et Wuenheim risquait d'essuyer d'important tirs d'obus, et d'être réduit en ruines. Depuis quelques mois que le conflit s’était enlisé à la frontière Allemande, l’alsace était figé dans cette sordide guerre des tranchées, parfois secouée de soubresauts par l’une ou l’autre des armées.
Le jeune prêtre était là depuis longtemps, officiant dans l’hôpital de fortune de l’armée, rassurant les uns, confessant une dernière fois les autres, organisant les messes permettant de redonner de l’espoir aux hommes...

Et aujourd’hui, les Allemands avaient décidés de bouger.

Antoine le savait, et bien qu'on lui avait proposé d'être démobilisé quelques kilomètres plus loin, il avait refusé. L’hôpital tournait avec le personnel minimum qui s’était porté volontaire pour s’occuper des blessés intransportables.
Les informations étaient confuses, mais il se pouvait qu’avant la tombée du jour Wuenheim n’existe plus...

Le tout jeune prêtre avait commis une faute. Une faute envers sa charge de prêtre, et une faute envers Dieu. Et si le Seigneur avait décidé de le punir, Il le ferait ici, dans cette église. Le curé accepterait le châtiment.

Allongé sur le ventre, les bras en croix, le front contre le sol de pierre gelé, Antoine enchaînait les prières depuis des heures, sans s'arrêter, au point d'en avoir la gorge sèche... Hormis le poids que sa faute pesait sur son âme, il était serein, et n’avait pas peur d’être rappelé là haut. Il avait manqué à son devoir et permit ainsi la mort de plusieurs hommes, tout en bafouant les vœux sacrés qu’il avait prononcé quelques mois auparavant...

Hormis le vent dans la vieille charpente de l'église, seuls les murmures de l'abbé s'élevaient dans l'air froid de la maison de Dieu...

Rien.

Il ne s'était rien passé ici, dans la petite église de Wuenheim, en Alsace.

Antoine avait prié le Seigneur de reprendre sa vie l'après midi durant. Il avait entendu les obus siffler et exploser à plusieurs kilomètres de là, surement dans la commune voisine.

Dieu lui laissait une nouvelle chance.

Le jeune prêtre ne Le décevrait pas. Pas cette fois.
Il avait été muté ici au lieu d'être arrêté. Néanmoins, Antoine avait voulut être jugé pas le Seigneur lui-même et non par la justice des hommes.

Lentement, engourdit par le froid et l'immobilité, le jeune curé se releva et revêtit sa chemise et sa veste dont il s'était débarrassé.
Il avait froid. Les hivers étaient rudes par ici.

L'esprit plus clair que jamais après cette demie journée de méditation, il retourna à l'hôpital se dévouer corps et âmes.
Il ne ferait plus que cela jusqu'à ce que cette fichue guerre soit fini.

Antoine se rendit sans diner au chevet des mourants qu'on avait du abandonner ici avant la salve d'obus allemands.
Il était resté sur place une poignée d'infirmières et de bonne soeur, ainsi qu'un jeune médecin courageux.
Tout les autres avaient fuit.
Antoine ne les jugeait pas. On avait besoin d'eux ailleurs, et ils avaient emmenés à l'abri les malades qui le pouvaient.

Une infirmière grassouillette arriva en courant quand elle le vit entrer dans le grand dortoir.
Elle cria le nom du prêtre, lui demandant bien ou il avait put passer toute la journée. On avait besoin de lui. Ernest, le jeune lieutenant amputé était en train de mourir et le réclamait.

Sans même enlever le gros blouson militaire qu'on lui avait prêté pour le froid, Antoine courut au chevet du jeune homme et entendit sa dernière confession.

Le prêtre veilla Ernest une bonne partie de la nuit jusqu'au dernier souffle du jeune homme...

On avait enterré le jeune soldat dans la matinée dans une simple tombe creusée dans la terre. C'est Antoine qui s'en était chargé personnellement. Le jeune abbé avait creusé comme un enragé, comme pour expier quelque chose. Il avait ensuite célébré une messe pour Ernest, à laquelle avaient assisté la maigre équipe médicale qu'il restait sur place.

Un peu plus tard dans la journée ils avaient eu des nouvelles du reste du contingent: l'alerte était passée, ils allaient tous revenir sur place: soldats, équipe médicale, blessés...
Le petit camps abandonné reprit vie vers 17h.
Rien n'avait été détruit ici. Un coup de bol.

Le reste de la journée se déroula comme d'habitude: les soldat reprirent leurs postes sur le front, les officier recommencèrent à organiser les échauffourées, les blessés regagnèrent leurs lit, et le personnel soignant faisait de leur mieux pour les aider.
Un jeune soldat nommé Thomas apprit avec une grande tristesse la mort d'Ernest.
Ils étaient amis d'enfance et Ernest était fiancé à la soeur de Thomas. Antoine sentit son coeur battre de colère en entendant cela... Pourquoi le Seigneur avait il rappelé à lui un jeune homme plein de courage et aimé de ses amis, promis une gentille fille qui attendait dans l'angoisse de ses nouvelles? Pourquoi le Seigneur ne l'avait il pas reprit lui? Lui qui avait indirectement été la cause de la mort de quelques personnes? Lui qui n'avait pas vraiment d'amis ni de famille, hormis ses parents?

Antoine ne doutait pas de la volonté du Seigneur. C'était injuste, mais c'était comme ça...

Thomas avait pleuré à gros sanglots sur l'épaule du prêtre. Antoine ne trouvait rien d'autre à dire que quelques mots qui lui semblaient creux et très convenus. Il était resté à ses cotés pendant que le jeune homme écrivait une des lettres les plus difficiles de sa vie destiné à sa petite soeur. Antoine avait réussit à lui trouver du papier convenable et de l'encre. Les soldats qui écrivaient dans les tranchées se contentaient seulement de vieux morceaux détrempés et d'une mine de plomb grossièrement taillée.

Thomas avait peur que la lettre se perde. Comme souvent.
Sans vraiment réfléchir, Antoine lui promis qu'il lui remettrait en main propre. Le jeune soldat fut très touché par le geste du jeune abbé.

Ils restèrent une bonne partie de la nuit à parler d'Ernest, un garçon plein d'entrain et de joie de vivre...