En attendant l'interrogatoire.

Il était 13h15 et Emma Oliver patientait avec un ouvrage. Elle s'était rendue directement dans le salon après son repas, afin de pouvoir réfléchir au calme avant l'interrogatoire de 14h00. Elle et cet agent de Scotland Yard, William Hawkins, seraient les premiers à se soumettre aux questions de l'inspecteur Vinak. La première chose qu'elle avait l'intention de lui dire, c'était de faire venir son neveu. C'était assez égocentrique, mais elle se sentirait plus rassurée s'il participait à l'enquête (non pas qu'elle le croyait plus qualifié que l'inspecteur, loin de là, mais elle avait besoin de pouvoir confier ses impressions à une personne qui lui était familière et qui tiendrait compte de ses petites découvertes.) Et puis l'occasion était trop belle : comme il l'avait accompagnée jusqu'à Cathara, il avait décidé de rester chez un ami de la région jusqu'à la fin de son séjour.

Il a déjà été mis au courant de l'avalanche via sa secrétaire, donc il est toujours chez son ami. Il me suffira de donner ses coordonnées à l'inspecteur.

Elle interrompit le fil de ses pensées pour se concentrer sur un passage difficile de son tricot, puis elle songea au déroulement des événements, le soir du crime.

Cette nuit-là, comme elle en avait pris l'habitude depuis le début du séjour, elle était montée dans sa chambre à 21h00. Ce n'était pas qu'elle voulait faire du zèle avec l'emploi du temps, mais sa chambre était le seul lieu où elle pouvait tricoter en paix... Chaque fois qu'il l'avait surprise avec un ouvrage en main, il lui avait ordonné assez cavalièrement de le ranger et de "cesser définitivement cette manie nuisible."

Se sentant coupable, Miss Oliver chassa vivement ce souvenir : il ne fallait pas penser du mal des morts... Mais tout de même, interdire à une vieille demoiselle de tricoter !

Elle secoua légèrement la tête et décida de se concentrer sur le dit tricot. Elle avait trop peu d'éléments en main pour résoudre cette énigme, il était donc inutile de trop y penser pour le moment.

Et, paisiblement, elle compta les mailles en attendant l'heure.

William venait de s'échappé de son horrible et maigre festin qui lui soulevait encore le coeur. Légumes bouillis...beurk...poisson sans sauce...double beurk. Il ne préfèrait même pas penser au reste du petit plat qu'on lui avait servit... bien que le terme 'imposer' aurait été plus juste.
Fort heureusement, il tenait entre ses mains, son oasis dans ce désert de régime : un verre de whisky !
Au lieu d'avoir cet immonde jus d'ortie, il avait pu obtenir au prix de nombreuses et pathétiques supplications, un verre de cette denrée rare d'alcool. Cela faisait si longtemps qu'il n'en avait pas bu un qu'il en avait presque la larme à l'oeil sous le coup de l'émotion.
Sans attendre, il s'était réfugié vers le salon avec son 'butin'. Il s'installa bruyament dans un fauteuil en étouffant un soupir.
L'agent de Scotland Yard n'avait pas encore remarqué Miss Oliver qui tricotait dans la pièce.
Il but une gorgée de son verre, la souvourant. Avec la journée qui s'annonçait, il avait bien besoin d'un remontant.
En repensant à se qui l'attendait, c'est-à-dire l'interrogatoire de l'inspecteur par radio, il ne put s'empêcher de trembler légèrement.
Il était à la fois mal à l'aise et outré qu'on puisse l'interroger sur la mort du docteur. Lui, un policier, se faire interroger ! Quel culot !
De plus, c'était à lui de mener l'enquête. Il était sur place et faisait parti de l'élite de la plice anglaise.
Il essaya de se rassurer, en buvant une deuxième gorgée de whisky, en se disant qu'il fallait prendre cela comme une aide extérieur.

Je n'ai jamais mené d'enquête seul donc un peu d'aide fera du bien pour percer à jour l'assassin. Ah, si David pouvait être là !

Sur cette bonne pensée, il vida le reste de son verre d'une traite. Il laissa quelques instands le bienfait d'un bon verre d'alcool pénétré en lui avant de se rendre compte enfin qu'il n'était pas seul.
Cette constatation le fit sursauter et il se leva.

"Oh... Good afternoon, Miss." Dit-il en tripotant son verre comme un gamin prit en faute.

Emma Oliver avait regardé avec curiosité Billy Hawkins pénétrer dans la salle et s'asseoir en contemplant son verre au contenu ambré, à première vue un excellent scotch, comme s'il ne s'agissait ni plus ni moins du Saint Graal. Elle s'était mise à sourire avec indulgence et avait attendu qu'il lui adresse la parole en gardant les yeux baissés sur son tricot.

Elle lui répondit avec un sourire malicieux :

"Good afternoon, Mister Hawkins."

Ils étaient depuis le départ en très bons termes : ce pauvre Billy, qui subissait de loin le traitement le plus sévère, s'était avéré être quelqu'un de très poli et sympathique. En tous cas lorsqu'il s'exprimait dans sa langue natale, car son français laissait à désirer. Elle aurait pu l'aider à améliorer son vocabulaire en lui donnant des leçons, mais comme elle était une des seules personnes avec qui il pouvait parler anglais, elle s'en abstenait et lui faisait la conversation dans leur langue comme si de rien n'était. Elle remarqua qu'il paraissait légèrement nerveux et se demanda pour quelle raison puisque le monde de la police et les interrogatoires lui étaient familiers. Elle poursuivit, en anglais, sans cesser son ouvrage (pouvoir de nouveau tricoter à la lumière du jour était décidément un vrai bonheur) :

"Avez-vous déjà assisté à beaucoup d'interrogatoires ? Pour moi c'est la première fois, mais mon neveu - vous savez, le détective - m'en a beaucoup parlé. Je crois savoir à quoi m'attendre. Et de plus je ne suis pas un témoin dans cette affaire, donc je n'aurai pas beaucoup de choses à dire à l'enquêteur. Je suis persuadée que vous par contre, qui avez l'expérience et la vigilance d'un agent de Scotland Yard, lui serez plus qu'utile."

Les paroles d'Emma Oliver le rassurèrent en même temps de caresser un peu sa fierté. Il décida de se redonner un peu de contenance en bombant le torse d'un air fier.

"Oh sans me vanter... j'ai une certaine expérience en la matière. J'ai moi-même fait pas mal d'interrogatoire." Dit-il avec son accent écossais. Ce n'était qu'un demi-mensonge puisque la plupart du temps c'était son coéquipier qui se chargeait de cette partie. Lui se contentait généralement de regarder et soulignait certaines phrases louches (du moins de son point de vue).

Son moral semblait aller de mieux en mieux grâce aux dernières paroles sur son utilité dans cette enquête.

Par radio, le pauvre ne découvrira pas grand chose... Heureusement que je serais là.

Ainsi que d'autre pensée dans se style. Mais soudain, il poussa un soupir et sembla se dégonflé comme un ballon.
Comme il n'était pas doué pour masquer ces émotions, il préfèra confier l'origine de ses craintes. Au moins cela le larguera d'un poids.

"Mais... Je ne me suis jamais retrouvé de ce côté de l'interrogatoire et j'avoue que çà me rend un peu nerveux." Dit-il en chipotant à nouveau son verre. Son expression trahissait que ce qu'il venait d'expliquer n'était pas la seule cause de ses tremblements.
Pourtant il n'ajouta rien d'autre.

Je comprends.

Elle laissa un court silence s'installer. Si la vieille demoiselle avait trouvé quelque chose d'étrange dans la nervosité de son interlocuteur, elle n'en laissait absolument rien paraître. Soudain, elle leva le nez un peu vivement, comme si elle venait de sortir d'une sorte de reverie, et reprit la parole :

Hum... Voulez-vous vous installer plus près ?

Elle indiqua un siège près de la table à côté de laquelle elle s'était installée. Si la conversation devait s'orienter sur le meurtre, elle aimait autant ne pas avoir à parler assez fort pour être entendue du couloir. Elle poursuivit, sur un ton joyeux :

Je pense que je vais commander une tasse de thé. J'avoue aimer en boire à toute heure du jour sauf à 5 heures.

William faillit laisser échapper un 'ah bon' quand miss Oliver affirma comprendre. C'est qu'il n'était pas certain de comprendre lui-même pourquoi il était si inquièt alors apprendre qu'une autre personne comprennait parfaitement... il y avait de quoi surprendre.
Il se râcla plus bruyament que prévu la gorge pour cacher sa stupéfaction.

"Oh mais bien sûr?" Dit-il soulagé que le silence soit coupé ainsi. Il se leva. Il allait emmener le verre avec lui mais il réalisa tristement que celui-ci était vide et donc devenu inutile.
Il le laissa donc à regret là où il s'était retrouvé il y a un instant et s'installa dans le siège qu'on lui avait désigné. "Merci."
Encore un peu mal à l'aise, il ne pouvait empêcher certain geste nerveux comme danser d'un pied à l'autre ou chipoter à ses doigts.

Il réfléchit un instant à l'idée d'avoir une tasse de thé... Tout était meilleur que cet horrible breuvage qu'il était censé boire. Il avouait ne plus se souvenir si le thé lui était interdit ou non.
A choisir, il aurait préfèré un second verre d'alcool mais il ne voulait pas arriver ivre à l'interrogatoire.

"Oui... je crois que çà pourrais me calmer un peu aussi." Avoua-t-il d'un ton bourru.

Mais il ne pouvait s'empêcher de penser au dernier évenement surtout que le moment de parler avec l'inspecteur Vinak approchait et ravivait cet horrible souvenir dans son esprit.

"Bloody hell, quel horrible histoire." Souffla-t-il d'un ton à peine audible.

Miss Oliver retint un instant son souffle après la demande de William. Maintenant qu'elle le voyait de près, il était évident qu'il était vraiment nerveux. Avait-il surprit quelque chose d'important pour l'enquête ? Elle aurait pu lui poser simplement la question, mais elle préféra rester prudente. Bien qu'elle soit fermement persuadée qu'il aurait été incapable de perpétrer un meurtre... Si jamais il s'agissait d'un crime prémédité, les témoins gênants seraient éliminés les uns après les autres. Elle devait plus que jamais agir comme une petite vieille tout à fait ordinaire, peut-être même un peu sénile et pas trop bavarde pour bien faire. Ainsi elle pourrait avancer par des chemins détournés. Comme si de rien n’était, elle répondit :

"Il vaut mieux que vous preniez une tisane dans ce cas, ils en font de très bonnes. Je me rappelle que quand j’étais étudiante c’était la seule chose qui parvenait à m’apaiser la veille d’un examen, j’étais un peu dans le même état que vous."

Elle fit un signe discret à l’employé qui s’occupait de servir les clients du salon et celui-ci s’approcha aussitôt, aimablement. Elle mit un moment à saisir ce que William avait marmonné dans sa barbe – ses pauvres oreilles n’étaient plus ce qu’elles étaient – mais elle comprit tout de même et commenta à son tour :

"Une affaire abominable. Et cet isolement n’arrange rien. D’autres crimes pourraient être commis sans que le tueur soit dérangé. Et c’est une horrible fin pour le docteur Narcisse, après tout le mal que nous avons dit de lui pendant qu’il avait le dos tourné… Vous croyez qu’on va déjà l’enterrer alors que sa famille ne peut même pas venir jusqu’ici ?"

Elle demanda un Darjeeling au serveur et conseilla à William d’opter pour la tisane au tilleul. Ou peut-être un thé vert au jasmin.

William faillit faire une moue dégoûtée quand il entendit le mot 'tisane'. Mais comme il voulait prendre quelque chose qui le relaxerait, il décida de passer outre son dégoût et de suivre le conseil de Miss Oliver.

D'une certaine manière, une fois l'idée que ce ne pouvait pas être pire que la boisson prescrite par le docteur était assimilée, rien que de songer qu'il allait prendre une tisane et que tout irait beaucoup bien le réconfortait déjà.
Il se détentit donc un brin, tout en essayant de se persuader qu'il allait être d'un grand secours pour l'enquêteur qui ne pouvait procédé que par radio.

Devant la question d'Emma, il reprit vite le peu de professionnalisme dont il était capable et se creusa la mémoire pour se rappeler qu'elle était la procédure pour le cadavre de la victime dans se genre de circonstance.

"Il ne sera pas enterré immédiatement à mon avis. D'ordinaire, il faut attendre le résultat de l'autopsie et que ces résultats soit transmis à l'inspecteur chargé de l'enquête. Ensuite celui peut encore demander des renseignements supplémentaires et l'isolement va ralentir se processus puisque tout devra se communiquer par radio."

Il devait avoué qu'il n'avait pas pensé à ce que le meurtrier puisse frapper à nouveau et l'étonnement marqua son visage un instant avant qu'il ne se racle la gorge pour se faire plus rassurant.

"Ne vous inquiéter pas, je veillerais au grain pour que cela ne se reproduise pas."

Quand au commentaire sur le docteur Narcisse, il n'en fit pas. Pour lui, tout se qu'on disait dans le dos du docteur était on ne peut plus vrai mais il savait aussi que ce n'était pas des choses à dire alors que la personne avait récement quitter le monde des vivants.

[[Je m’incruste ^^]]

TBC de: Salle à manger, "Petit déjeuner"


Il était peu après deux heures de l’après-midi lorsque Tara entra dans le petit salon. Les jours passaient horriblement lentement dans ce centre et, pire encore, ils se ressemblaient tous. Durant les dernières semaines, il ne lui avait pas été permis de mener une quelconques activité physique digne de ce nom, ce qui lui avait plus dans un premier temps mais, une fois sa fatigue quelque peu atténuée, Tara avait commencé à s’ennuyer ferme. Elle savait bien que chaque jour qu’elle passait dans ce centre était un jour de perdu, un jour où elle n’était pas chez elle entrain de reprendre les rennes de son entreprise. Pourtant, on lui avait dit de se reposer, de ne penser qu’à sa santé et de ne surtout pas remettre ses nerfs à aussi rude épreuve…
Bien malgré elle, Tara s’était finalement pliée au bon conseil de son mari et du médecin, du même médecin qui avait été tué cette nuit. Malgré l’interdiction formelle de se laisser aller au stress, tout le monde semblait avoir les nerfs à vif, si bien que le Docteur Narcisse – si il avait été vivant – s’en serait arraché les cheveux. Mais, après tout, ce n’était pas tous les jours que l’on vivait sous un toit où avait eu lieux un meurtre….

Lorsque la jeune femme apparut dans le salon, quelques autres personnes y étaient présentes, et parmi elles une vieille dame que Tara avait déjà vu quelques fois, accompagnée d’un homme entre deux ages à la bedaine proéminente. Or, si Tara avait eu l’impression de devoir se plier au règlement strict en renonçant à se poser trop de questions, ce n’était rien comparé à ce que ce pauvre homme devait subir. Pour une raison qui échappait à la jeune femme, le docteur semblait vouer une attention toute particulière aux personnes un peu trop corpulentes en leur imposant un régime draconien. Quelques fois déjà, Tara avait cru apercevoir des regards envieux de la part de cet homme en direction des assiettes bien garnies des autres clients, alors que lui-même n’avait eu droit qu’à un bouillon de légumes.
D’un pas lent, Tara avança. Elle hésitait encore à s’isoler sur l’un des canapés et d’y attendre son tour, mais l’idée de l’interrogatoire la rendait si nerveuse qu’elle aurait préféré partager cette nervosité avec d’autres gens dans le même cas. L’employé passant à proximité, Tara lui demanda un thé noir – alors qu’elle aurait de loin préféré un whisky – et s’approcha de ses deux compagnons d’infortunes.

Le serveur revint avec leurs commandes pendant que William expliquait brièvement les démarches d’usage par rapport au cadavre. Miss Oliver ignora la déconfiture de l’agent devant sa boisson, se contentant d’être une auditrice attentive – elle avait laissé son ouvrage de côté. Elle acquiesça une fois avec un "I see" et ne fit pas d’autre interruption. La surprise de son vis-à-vis ne lui échappa pas et la plongea dans un abîme de perplexité. C’était à croire qu’il n’avait pas envisagé un seul instant qu’une menace de mort planait dans le sanatorium – que Dieu nous vienne en aide ! Elle tâcha de ne pas laisser transparaître sa nervosité soudaine et son incrédulité en hochant la tête avec un sourire de vieille dame confiante et optimiste lorsqu’il affirma qu’il veillerait au grain. Elle détourna les yeux, cilla et sirota une gorgée de son thé fumant et parfumé pour dissiper son malaise. Celui-là pouvait au moins se vanter de lui avoir fait perdre son calme. Ses convictions ayant été un peu ébranlées, elle essaya de l’imaginer dans le rôle du tueur. Que trahissait son comportement ? Un acteur de talent pouvait aisément se faire passer pour un agent respectable mais incompétent et trop optimiste. Mais cette piste ne lui disait décidément rien. Elle la garda pourtant dans un coin de sa mémoire car l’angoisse qu’elle venait de ressentir ne pouvait pas complètement être mise sur le compte de la situation. Elle reposa sa tasse, la tension était retombée, et eu une pensée chagrinée pour son neveu… Qui n’était pas là et qui la laissait bien désemparée.

Alors qu’elle sentait que le silence se prolongeait trop, Tara Willoughby entra. Elle ne connaissait d’elle que son nom et son origine irlandaise. Les occasions pour engager la conversation n’avaient pourtant pas manqué le mois dernier, mais elle l’avait sentie distante et n’avait pas voulu la déranger. Leur relation s’était limitée à s’installer sur les chaises longues de la terrasse à peu près au même moment pour un court bain de soleil matinal. Elle à l’autre bout de la rangée, plongée dans un livre, élégante et soucieuse. En ce qui concernait sa nationalité, elle n’était pas comme certains de ces compatriotes de la haute et appréciait énormément l’Irlande et ses habitants. En particulier leur accent. La seule chose qu’on pouvait espérer de cette mésaventure, c’était qu’elle permette aux curistes de se rapprocher. Elle accueillit donc la nouvelle venue avec un sourire affectueux et enjoué et l’invita à s’asseoir :

"Mrs Willoughby ! Bonjour, voulez-vous partager notre table ? Je vais demander un autre thé au serveur si cela vous convient."

En la voyant de plus près, elle fut surprise par sa mine et s’en inquiéta :

"Je vous trouve bien pâle… Cette pénible situation nous pèse à tous. Vous devriez reporter l’interrogatoire et prendre du repos."

A dire vrai, cela faisait un moment que le teint et l’attitude de la belle irlandaise lui paraissaient inquiétants. Au début du mois, elle avait l’air en parfaite santé, elle s’était même demandée ce qu’elle pouvait bien faire dans cet établissement. Puis on l’avait vue dépérir de jour en jour. C’était comme si la thérapie avait l’effet inverse sur elle.

Perle se décida à entrer dans le grand salon. Elle y avait entendu des voix et avait donc hésité pensant peut-être déranger les personnes présentes en arrivant ainsi dans la conversation.
Son livre à la main, elle avait envie d'un endroit lumineux et un peu plus chaleureux que sa chambre assez lugubre, elle entra dans la pièce. S'étant rendue compte que les occupants de la pièce parlaient tous anglais elle se résolut à faire de même et leur adressa un "Bonjour!" accompagné d'un petit sourire avant d'aller s'asseoir dans un petit fauteuil près d'une fenêtre.
Elle se plongea dans sa lecture en espérant que celle-ci lui changerait un peu les idées car elle était assez nerveuse à l'idée de participer à cet interrogatoire.

Quand le serveur apporta les commandes, William regarda sa propre tasse comme s'il se demandait se que c'était et pourquoi diable avait-il commandé une tisane.
Il se rappela alors l'interrogatoire et des bienfaits que faisait la tisane aussi, avec un non-enthousiasme frappant, il prit une gorgée du brevage.
Parler un peu de la procèdure l'avait rassuré, lui donnant la vague illusion d'être en terrain familier. Mais ce qu'avait dit Miss Oliver sur la possibilité d'un autre crime le perturbait un peu.
Il regretta une nouvelle fois que son ami n'était pas là mais ne voulait pas formuler ce désir, il voulait donner l'impression qu'il pouvait règler lui-même cette affaire.
Oui d'ailleur, à la réflexion, il pouvait en être tout à fait capable. C'est se qu'il commençait à s'imaginer, du moins.

Il fut interrompu dans une rêverie où il s'imaginait avoir arrêter le tueur et revenir avec gloire auprès de son coéquipier quand l'arrivée de Tara le fit revenir à la réalité.

Il reprit une gorgée de tisane, pour mettre définitivement fin à son imaginaire fertile.
Il grommela un bonjour entre deux gorgées et eut un bref espoir lorsqu'on parla de reporter l'interrogatoire. Mais il lui apparut assez vite que cette suggestion ne vienne que pour l'interrogatoire de Tara.
N'étant pas mauvais joueur au point de suggèrer une excuse général, il songea à l'expérience du métier et au fait que se genre d'excuse même si cela était vrai, augmentait les soupçons.

"Bonne idée. Bonne idée. Mais cela sans doute préfèrable que cette décision soit communiqué à l'inspecteur par le personnel, ne trouvez-vous pas ? Dans le métier, on aime prendre les témoignages le plus vite possible. Pour ne pas laisser le temps au coupable de parfaire son alibi, voyez-vous. Aussi tout demande de délai est prit rapidement en grippe s'il n'est pas 'officiel'" Dit-il rapidement sur un ton maladroit bien que partant d'une bonne attention.

Alors que Tara hésitait encore, son attention fut captée par le sourire chaleureux que la vielle Dame lui adressait. La jeune femme n’avait guère échangé de paroles avec elle, pas plus qu’elle en avait échangé avec n’importe qui d’autre de cet institut, si bien que leurs conversations s’étaient limitées à des simples salutations et quelques mots échangés sur la météo. Pourtant, Tara avait rapidement constaté que la vielle Dame ne semblait pas la snober, ou du moins, elle ne le faisait pas aussi ouvertement que les gens que la jeune Irlandaise avait rencontré lors de bals et de cotillons. Peut-être que cette femme avait atteint un âge où l’on était simplement au-dessus de ce genre d’enfantillages, ou alors, peut-être qu’elle faisait preuve d’une tolérance qui ne s’apprenait pas.

"Mrs Willoughby!", l’interpella-t-elle, "Bonjour, voulez-vous partager notre table? Je vais demander un autre thé au serveur si cela vous convient."

Saisissant l’occasion au vol, Tara renonça à aller s’isoler dans un coin pour ruminer sa propre nervosité et s’arrêta à la hauteur de la table de la vieille Dame, qui avait toujours les yeux posés sur elle. Ce que Tara craignait le plus se réalisa bien vite car, une fois de plus, elle n’eut d’autre choix que de supporter un nouveau commentaire sur sa mauvaise mine. Or, si elle n’avait pas eu la stupidité de croire à ces sornettes, elle n’aurait jamais commis l’erreur de venir ici et de laisser ainsi le piège de son mari se refermer sur elle. Certes, elle s’était déjà sentie mieux, mais ce n’était pas en restant ici ou en broyant du noir à Londres que les choses allaient s’améliorer…
L’homme au coté de la vieille Dame en profita pour prendre la parole et de lui donner raison au sujet de l’interrogatoire, soulignant pourtant qu’une telle demande devait être faite de manière officielle. Il avait l’air de plutôt bien si connaître dans ce genre de procédé, si bien que Tara se demanda si cette homme n’était pas du métier.

"Non, je ne crois pas que cela soit nécessaire", répondait Tara, coupant court à la liste de problèmes interminables qui allaient se présenter si elle se décidait de faire une telle demande. De toute façon, elle allait devoir y passer, comme tout le monde, si bien que le plus tôt serait le mieux. "Ces Messieurs de la police ont sûrement beaucoup de travail, et je ne souhaite pas les déranger en chamboulant tout leur ordre de passage."

Après avoir remercié Miss Oliver – dont le nom venait de lui revenir – elle pris place et posa son ombrelle à ses pieds. Elle refusa poliment la proposition de la vieille Dame, répondant que son thé était déjà en chemin. Un petit silence s’installa, si bien que Tara remarqua qu’elle avait trop rapidement fait le tour des petites banalités qu’elle aurait pu échanger avec ses interlocuteurs. Alors que le silence commençait à devenir pesant, il fut heureusement brisé par l’entrée d’une nouvelle personne qui, un livre à la main, alla s’installer dans un fauteuil après avoir salué l’assemblée. Tara lui rendit son salut et du faire un effort pour éviter de suivre la jeune femme des yeux – car, malgré son habit typiquement masculin et ses cheveux courts – il s’agissait bien d’une femme.
Avec un sentiment étrange qui se trouvait quelque part entre le rejet et l’admiration, la jeune Irlandaise reporta son attention sur sa tasse de thé qui venait d’être déposée devant elle.

Antoine n'avait eu qu'à traverser le couloir et tourner à gauche pour rejoindre le salon depuis la chapelle. Il avait sortit son chapelet et l'avait enroulé autour de son poignet, et il l'égrainait machinalement.

Le curé avait ouvert la porte du salon doucement et était entré silencieusement. Il y avait déjà beaucoup de monde qui attendait dans le salon richement décoré. Les gens qui étaient là, il les connaissaient plus ou moins. Beaucoup venaient à la célébrations des messes qu'il donnait et certains venaient se faire entendre en confession.

Un petit groupe discutait en anglais devant une tasse de thé. Quelques personnes lisaient, refoulant leur anxiété dans la lecture. Quelques domestiques s'affairaient, la mine sombre, toujours marqué par la mort de leur patron.

La pièce avait beau être chauffée, le Père Antoine frissonnait. Il était anxieux, lui aussi. Beaucoup de personnes attendait avant lui, il n'était même pas sur de passer aujourd'hui. De toute façon il ne savait rien.

L'abbé se dirigea vers une des fenêtre, constellée de givre à l'extérieur. Le paysage était désespérément blanc, la terre comme le ciel, bas, froid, triste.

Les mains dans le dos, égrenant toujours son chapelet, il méditait, les yeux perdu dans l'immensité lumineuse des alpes au mois d'avril...

Emma Oliver acquiesça gravement à l'affirmation de Tara.

"Vous êtes bien courageuse. Mais mister Hawkins a raison, il vaut mieux ne pas troubler le déroulement de l'enquête."

Elle termina sa tasse de thé et reprit son ouvrage. Tandis que le silence s'installait à nouveau, elle regarda l'horloge. Il était déjà 14 heures 35, ce qui leur laissait 25 minutes de répit avant le début de l'interrogatoire. C'est à ce moment que la jeune fille entra. Encore une personne qu'elle n'avait pas eu l'occasion d'apprendre à connaître, et pas entièrement à cause du fossé que formait leur différence d'âge. Elle ne parvenait même pas à revenir sur son nom et cela l'attristait. Néanmoins, elle répondit avec autant de chaleur que pour Mrs. Willoughby à son salut. Perle Dulac sortit de son champ de vision pour s’installer à l’écart mais ses deux compagnons, assis en face d’elle, pouvaient encore la voir. Elle jeta un coup d’œil amusé par-dessus ses lunettes de lecture en demi-lune à l’un puis à l’autre, acheva un rang de son tricot et se pencha pour prendre une nouvelle pelote d’une teinte différente. Elle reprit la parole à mi-voix en maniant adroitement les fils :

"C’est une jeune fille intéressante n’est-ce pas ? Rien ne pouvait laisser présager qu’on la verrait s’afficher ainsi. Qui l’aurait deviné ? La coupe à la garçonne est tellement répandue qu’elle n’étonne plus personne. Mais c’est parce qu’aucun de nous n’a essayé de faire sa connaissance que nous sommes aussi surpris."

Une pensée lui vint mais elle se retint de l’exprimer :

"Il en va de même pour notre désarroi face à ce crime. Ce n’est pas à la figure qu’on reconnaît un meurtrier mais par son comportement et ses motivations."

Le père Antoine entra et elle sentit son cœur se serrer en le voyant contempler les montagnes d’un air si mélancolique : il n’aurait jamais dû être mêlé à cette affaire... Un homme si jeune et si pieux !

Alors que Perle commençait difficilement sa lecture, elle avait du mal à se concentrer, la porte du salon s'ouvrit et laissa apparaître la silhouette du père Antoine. Elle trouvait cet homme étrange ne comprenant pas ce qu'il pouvait trouver à Dieu pour ne penser qu'à Lui à longueur de journée...
Après l'avoir regardé un moment elle entreprit de se remettre à sa lecture. Malheureusement, l'envie la taraudait de regarder Tara, la jeune Irlandaise. Depuis son arrivée à la clinique, Perle avait envie de la connaître car cette jeune femme parraissait être aussi belle qu'intelligente...
Perle avait envie de lui adresser la parole mais Tara était déjà en conversation avec la vielle dame, qui lui parraîssait très sympathique, et elle avait peur de les déranger.
D'autant plus que l'interrogatoire allait bientôt commencer il lui semblait...
A ce moment elle avisa le père Antoine occupé à rêvasser à la fenêtre. N'arrivant pas à continer à lire son livre et ne pouvant pas parler à Tara pour la moment, elle se leva et s'approcha de lui.
Elle ne savait pas vraiment quoi lui dire mais elle aviserait le moment venu, cela vaudrait toujours mieu que de rester dans son coin...

Perdu dans ses interrogations, le Père Antoine mis un moment à se rendre compte qu'une présence aussi légère que discrète s'était glissée derrière lui...

Il cherchait des réponses à des questions qui le dépassaient. Comment allait-il arriver à gérer cette situation? D'habitude, lui était là pour soutenir les gens, les rassurer sur leur situation, leur donner espoir et courage quand ceux-ci semblent avoir disparut. Il n'était jamais mêlé à de grave problème, il n'était qu'un intermédiaire entre la voix de Dieu et ses brebis...

Il se retrouvait aujourd'hui entièrement mêlé à cette histoire. Acteur, pas seulement spectateur discret et silencieux, qui servait d'épaule quand on avait besoin de lui. Il aurait besoin de soutient venant de plus haut que lui. Pourvut qu'Il ne l'abandonne pas...

Enfin, il fallait laisser le temps se faire...

Antoine respira un grand coup, chassant ses mauvaises pensée et son air chagrin, puis se retourna vers la personne qui ne semblait pas oser engager la conversation.

Son sourire de convenance resta figé en un rictus de surprise. Le jeune homme qu'il avait vu lire quand il était entré se trouvait être en fait une jeune femme, et celle-ci attendait derrière lui, sans bruit...

Antoine était déjà en désaccord avec les modes actuelles, la libération des moeurs etc... Tout cela semblait augurer un changement dans la société qui ne serait pas bénéfique pour l'humanité. Il ne supportait pas que les femmes se coupent les cheveux "à la garçonne". Une femme devait rester féminine, pour son mari et pour servir de repaire à ses enfants...

Mais non seulement cette jeune femme qu'il ne connaissait pas avait les cheveux courts, mais comble du vice, elle était habillée en homme. Pantalon, chemise et veston vulgaire remplaçaient la jolie robe qu'elle aurait dû porter.

La politesse du curé resta coincé dans sa gorge et au lieu d'un "bonjour ma fille" souriant, il ne parvint à sortir qu'un enroué:

"Oui?"

A mesure que l'interrogatoire approchait, William semblait de plus en plus coupé de la conversation qui se passait autour de lui. Il n'écoutait plus d'une oreille aussi attentive qu'il aurait dut et cela était bien sûr fort visible car il se contentait d'acquiesçait en grommelant une approbation à moitié muette.
Certes, il se voyait plus comme une aide envers les enquêteurs plutôt qu'un suspect mais il se doutait et redoutait même qu'on allait lui rire au nez s'il proposait cela sans preuve qu'il pourrait être utile.
Bien qu'à son avis, la simple mention de l'endroit où il travaillait devrait être une preuve suffisante de ses capacités.
Mais c'était la police française qui allait certainement prendre cette enquête et même s'il ne se faisait pas son propre opinion sur eux, il avait entendu les commentaires de ses amis de bureau sur les policiers français et comme d'habitude, William prennait ces dire comme parole d'évangile.

Le problème était donc là. Que pouvait-il faire pour se rendre utile. Donné son avis sur les habitants du centre ne serait certainement pas suffisant.
En ruminant ces pensées, il trouva soudain une idée. Si brusquement qu'il fallit se lever de son siège en criant Eureka.
Bien sûr, l'ennui avec cette avalanche qui les bloquait du reste du monde c'était que l'inspecteur chargé de l'enquête n'aurait pas accès aux indices trouvé sur le lieu du crime.
S'il venait à l'interrogatoire dans la salle radio avec un compte-rendu détaillé de tout se qui se trouvait dans la chambre de la victime, cela pèserait lourdement dans la balance.

Nerveux et excité par son idée, qu'il proclama aussitôt mentalement comme génial, il regarda une nouvelle fois l'heure.
Il serait dans les premiers interrogés, aurait-il le temps ?

Il se souvint alors de la réponse de Tara avant que le silence ne se prolonge et décida de proposer son idée pour gagner au moins un peu de temps.

"Plutôt que de reporter l'interrogatoire. Peut-être qu'un échange serait un choix plus juste. Voyez-vous, je serais dans les premiers interrogés, si vous passiez a ma place vous pourrez plus rapidement être soulagée du poid de l'interrogatoire. Qu'en dites-vous ?"
Dit-il d'une voix poli et serviable. Comme il songea que cette demande pourrait paraître suspecte, il se justifia aussitôt. Avant, il se racla de nouveau nerveusement la gorge.
"C'est qu'il me faut vérifier un détail avant de parler à l'inspecteur."

Soulagé par ce qu'il venait dire, il ne songea pas que sa phrase pourrait paraître encore plus suspecte que s'il n'avait rien dit.

Miss Olivier acquiesça, ce qui renforça la décision que Tara venait de prendre. Les interrogatoires allaient se dérouler comme prévus et bientôt, les choses rentreraient dans l’ordre. Une fois ce crime élucidé et la route à nouveau libre, la vie au centre allait reprendre son cours normal – du moins, c’est ce qu’espérait la jeune femme.
Le silence se fit à nouveau au sein du petit groupe tandis que la pièce comptait une personne de plus: Le jeune prêtre que Tara avait vu une ou deux fois avait également choisi le salon pour attendre son tour. Serait-il également interrogé? Après tout, c’était un prêtre…

Ce fut une nouvelle fois Miss Olivier qui parvint à briser le silence d’une manière plus élégante qu’avec un simple toussotement. Manifestement, elle avait surpris le regard de Tara sur la fille qui venait de rentrer et fit part de sa vision des choses à mi-voix. Elle avait sans doute raison car, ces derniers temps, Tara avait vu de plus en plus de femmes et de jeune filles dans la rue qui portaient les cheveux courts, mais elle n’avait jamais songé à les couper également, persuadée que cela ne lui irait certainement pas. Pourtant, elle avait eu sa propre manière de se battre contre quelque chose qu’elle avait jugé injuste et inégal, et ce combat était loin d’être terminé. Selon Tara, elle n’avait pas besoin de se changer en homme pour obtenir ce qu’elle voulait – bien au contraire.

Reposant doucement sa tasse de thé, Tara vit que la fille s’était levée et qu’elle s’était dirigée vers l’ecclésiastique. Le prêtre mit un instant à se retourner dans la direction de son interlocutrice et, lorsque Tara eut une seconde pour apercevoir l’expression sur le visage du jeune homme, elle eut toute les peines du monde à réprimer un sourire: L’ecclésiastique regardait la jeune fille comme si elle venait d’une autre planète, si bien que Tara fut rapidement d’avis que le jeune prêtre aurait peut-être guère apprécier de voir ces jeunes femmes aller seules à l’opéra et fumer le cigare en public…

Alors que Tara avait réussi à diriger ses pensées vers un sujet différent de ses préoccupations, l’homme qui lui faisait face reprit le fil de la conversation là où ses voisins de table l’avait laissé et, s’adressant à Tara, il lui proposa d’échanger leurs tours lors de l’interrogatoire, histoire de lui permettre de la soulager le plus rapidement possible. Tara sentit son cœur se serrer. Bien que l’idée n’était pas mauvaise, elle avait peur à l’idée de devoir passer dans les premiers, de déballer sa vie au centre, ses habitudes et ses symptômes face à des parfaits inconnus.
Pourtant, l’homme avait raison…plus vite ce serait fait, mieux se serait. Après, Tara pourrait toujours aller se retrancher sur la terrasse…
"Merci Monsieur", répondit-elle en adressant un léger sourire à son voisin de table. "Si cela peut vous rendre service, j’accepterai avec plaisir. Il faudra toutefois en informer les inspecteurs…A quelle heure vous a-t-on convoqué?"
Elle adressa un regard à la vielle dame à ses côtés avant de jeter un œil vers la porte. Les minutes passaient et l’anxiété de la jeune femme ne faisait qu’augmenter.

Comme Tara, Miss Oliver suivit l'étrange jeune fille des yeux lorsqu'elle se leva. Lorsqu'elle comprit que son pas résolu la menait sans nul doute au père Antoine, elle éprouva un choc : elle se flattait de ne pas avoir l'esprit aussi fermé que la plupart des gens de sa génération, elle éprouvait sans nul doute une grande affection pour la jeunesse moderne, mais qu'une jeune fille habillée en homme aille s'adresser ainsi à un homme d'Eglise... Cette attitude lui paraissait exagérément provocante. Pourtant elle garda les yeux assez longtemps rivés sur cette rencontre incongrue pour voir l'expression du jeune prêtre lorsqu'il posa les yeux sur elle. A l'évidence, il ne l'avait pas encore vue ou l'avait prise pour un homme. Elle détourna vivement le regard sur son tricot et s'empêcha de sourire, de peur que cela ne tourne en un fou-rire déplacé.

L'intervention de William la sauva de ce moment d'égarement mais l’étonna au plus au point : que pouvait-il aller vérifier au moment où les domestiques se chargeaient de verrouiller l'étage des chambres ? Elle pensa qu'il devait y avoir une explication rationnelle - peut-être l'envie subite de prendre un casse-croûte ou encore celle d'aller respirer l'air frais sur la terrasse - et ne fit aucune remarque. Cependant, quelque chose en elle lui disait qu'il n'allait pas tarder à revenir, escorté par une intendante mécontente.

En réponse au regard de la jeune Irlandaise, Emma lui adressa un sourire encourageant et posa un instant sa main frêle et parcheminée sur son poignet. Elle éprouvait pour elle une sympathie instinctive, bien qu’elle ignorait si sa nervosité et son silence cachaient ou non un lourd secret.

Un cliquetis syncopé se fit bientôt entendre dans le couloir menant au salon. Certains résidents identifièrent immédiatement ce son, caractéristique de l'approche d'Esmeralda Duncan.
Tous connaissaient plus ou moins la tragédienne, pour avoir assisté à l'une des représentations théâtrales ou musicales qu'elle avait pris l'habitude d'organiser à Cathara. L'excentricité de cette femme ne laissait personne indifférent : certains étaient fascinés par son charisme tandis que d'autres la détestaient cordialement... d'autres encore la trouvaient simplement "fatiguante".
Sa silhouette familière se dessina dans l'encadrement de la porte : elle portait une robe aux couleurs chatoyantes à dominante orangée, ainsi qu'un élégant châle en cachemire rouge sombre sur une multitude de colliers.

En observant la mine inquiète des patients présents, l'actrice ne put réprimer un demi-sourire.
Quelle angoisse ! On se croirait dans un Tchekhov...

Elle ne tarda pas à repérer Miss Oliver, une charmante vieille dame avec qui elle avait eu plaisir à parler de littérature française dernièrement, se dirigea vers elle et lui dit, dans un sourire :
"Bonjour Miss ! Quelle aventure dites-moi... j'ignore s'ils trouveront un coupable parmi nous mais ils pourront se vanter d'avoir assombri l'atmosphère !"

Après un regard circulaire à travers la pièce, elle poursuivit :
"Je ne reconnais plus mon chaleureux public d'hier soir ! Ne trouvez-vous pas scandaleux d'effrayer les gens à ce point ?!"
Elle accompagna cette dernière phrase d'un ample mouvement du bras, que son châle eut grand peine à suivre...

Perle ne pus s'empêcher de sourire légerement à la réaction du père Antoine... Elle s'attendait un peu à cette réaction car, depuis qu'elle avait décidé de s'habiller en homme, les gens la regardaient souvent de mnière étrange et parfois dégoutée...
Elle lui adressa un grand sourire et comptait engager la conversation lorsqu'une personne entra dans le salon.
Perle l'avait déjà vue au paravent lors de ses représentations, ici, à la clinique du docteur mais elle n'avait pas fait connance avec elle, pas plus qu'avec les autres occupants... Cette femme était assez exantrique et Perle ne savait pas trop si elle l'apréciait pour se trait de caractère qui n'avait pas l'air de plaire à tout le monde, tout comme celui de Perle, ou, si, au contraire, son comportement l'agassait...
Après cette interuption, Perle se tourna vers le père Antoine pour entammer sa conversation... Elle l'avait entendue lui parler en français elle s'exprima donc dans cette langue.
"Bonjour mon père! L'atmosphère est bien tendue n'est ce pas aujourd'hui?"
Comme il paraîssait trop surpris pour répondre elle enchaîna sur la nouvelle arrivante "Tiens voici Esmeralda! Cette femme est vraiment une artiste! très exantrique... J'aime beaucoup, personnellement, ce trait de caractère... Etre hors du commun c'est intéressant!" Lui dit elle en le regardant et elle souria gentillement...

Au moment ou cette jeune fille habillée en garçon manqué allait lui répondre, la porte s'ouvrit de manière théâtrale, laissant apparaitre Esmeralda, jouant sa propre vie comme s'il s'agissait d'une antique tragédie... L'exaspération du prêtre monta d'un cran lorsque l'excentrique actrice déblatéra une strophe en anglais auquel il ne comprit pas un traitre mot.

Essayant de chasser l'actrice de son esprit, Antoine se concentra à nouveau sur son interlocutrice. La jeune femme suivait elle aussi Esmeralda du regard, un sourire sur les lèvres.

D'un ton guilleret la jeune femme lui parla de la tension palpable dans la pièce. Avant que L'abbé ne lui demande si elle ne s'en sentait pas en partie responsable, la jeune fille le lança sur l'arrivée de l'actrice. Elle avoua son émerveillement devant son comportement, le fait qu'être hors du commun était quelque chose de merveilleux. Antoine ne partageait pas son point de vue. Etre hors du commun, se démarquer des pauvres mortels par un talent intellectuel, philosophique, artistique, littéraire, musical ou autre oui... Mais s'exposer en public avec un accoutrement outrageux sans aucun talent particulier relevait plus de la frime, d'un trait de caractère exhibitionniste, de se montrer pour le plaisir de paraitre. Bref, rien de bien glorieux là dedans.

Antoine hésita à lancer le débat ou à couper cours à cette discutions.

Néanmoins, s'il répugnait pour le moment à entrer dans un débat philosophique pour pouvoir se replonger dans sa méditation, il voulait savoir jusqu'où la jeune femme assumait cette prise de position.

D'un ton bien plus sec que ce qu'il aurait voulut il lui rétorqua:
"Cela dépend de ce que l'ont appelle être hors du commun. Si c'est posséder un talent particulier qui apporte un plus au reste du monde, je vous réponds oui. Si c'est seulement s'habiller de manière provocatrice..."

Antoine n'eut pas besoin de finir sa phrase. Son ton et son visage crispé étaient assez éloquents, malgré l'effort qu'il faisait pour paraitre polis et délicat...

Le visage de William reprit un peu de couleur devant la réponse positive de Tara.
"Oui bien sûr... Merci infiniment... Il me semble que l'heure de convocation est... hum non j'en suis certain que c'est à..." Bafouilla-t-il. "A... 15H00."

Il eut la brève, trop brève illusion d'avoir une charge en moins. Tout devenait clair pour lui, il rapportera fidèlement son constat des lieux et son propre interrogatoire s'en retrouvera alléger, surtout au niveau du stress qu'il éprouvait à le passer.
Un soupçon d'orgueil apparut également. Oui, il allait montrer que même hors de leurs frontières les policeman de sa majesté était tout aussi efficace voir plus que la police française.

Il se leva donc comme un surhomme, encouragé par cette ultime pensée de vanité et presque de confiance en soi mais il ne fallait pas exagérer non plus.

"Mesdames, si vous voulez bien m'excuser. Le devoir avant tout." Se justifia-t-il extrêmement poliment.

Alors qu'il quittait le grand salon, il croisa Esmeralda. Un dernier soupçon d'inquiétude le poussait à se hâter avant qu'il ne soit trop tard... trop tard pour quoi, il n'en savait encore trop rien mais il était certain que plus vite il atteindra le lieu du crime plus il aura de temps pour peaufiner son rapport avant l'interrogatoire.
Il ne s'attarda donc pas au formule d'usage mais resta tout de même gentleman en saluant poliment la nouvelle arrivante.

Puis il sortit de la pièce, en se frottant nerveusement les mains, bien que le sentiment de frénésie d'avoir trouver une excellente idée soit pour beaucoup dans son geste.

[chambre]

Perle fut tout de même déconcertée par la réaction du père Antoine car celui-ci avait réagit de manière plus brutale que ce à quoi elle s'attendait! Elle le savait assez "fermé" mais tout de même...
Perle détourna son regard un instant et regarda Esmeralda... Le père n'avait peut-être pas tort en fin de compte se surpris t elle à penser... Elle même, Perle, n'était elle pas un peu partagée dans ses sentiments envers Esmeralda? Ses impressions balançaient entre l'admiration et l'exaspération...
Elle regarda à nouveau l'"homme d'église" et, décidée à ne pas lui laisser le dernier mot malgré tout, s'adressa à lui:

"Mais, justement mon père, n'est ce point ce côté provocateur qui la rend unique? Et justement ne serait ce pas un certain talent que de savoir et oser s'afficher de cette manière en attirant le regard au risque de déplaire à certain?"

Elle le regarda droit dans les yeux. Ce n'était pas dans son habitude de se comporter comme cela mais, depuis qu'elle s'affichait en homme, beaucoup de choses avaient changé en elle... Par exemple, elle osait tenir tête plus souvent et surtout elle osait donner son avis sur des questions importantes. Il était vrai aussi, c'était elle rendu compte, que si elle osait s'afficher en homme alors elle pouvait s'affranchir et parler plus librement aux gens! Cela coulait de source... Fini la petite Perle toute sensible et qui cassait au moindre souffle de vent! Enfin presque fini puisque le père Antoine parvenait tout de même à l'impressionner sérieusement avec son regard froid et dur...

Surtout maintenant avec ce qu'elle lui avait répondu! Il paraissait ne pas apprécier du tout son effronterie!
Elle se mit à espérer pouvoir trouver une porte de sortie avant d'avoir à subir ses foudres! Après tout c'était sa faute si elle se retrouvait dans ce pétrin! N'était ce pas elle qui s'était dirigée vers lui? Elle avait voulu se tester, voir jusqu’où elle oserait aller... Mais cela commençait à se retourner contre elle!
Perle se mit à regarder Esmeralda. Il faudrait qu'elle arrive à lui parler! Peut-être en attirant son attention elle ferait fuir le "curé"!
Elle regardait toujours Esmeralda quand le père Antoine lui répondit... Cela la fit sursauté et la ramena durement à la réalité. Il faudra faire face sauf si la providence venait à faire une apparition...