En attendant l'interrogatoire.

Alors que Tara regardait toujours en direction de la jeune femme habillée en garçonne, son attention fut suscitée par son voisin de table, qui lui fit savoir que l’interrogatoire était pour quinze heures. Quinze heures…cela ne lui laissait pas beaucoup de temps pour se préparer à affronter cette pratique étrange qu’elle n’avait encore jamais expérimentée, ni même vu de près.

Alors qu’elle réfléchissait encore sur sa façon de parler, sur ce qu’elle allait dire et sur la manière dont elle le ferait, Hawkins se leva, s’excusa et quitta la pièce. Au passage, il croisa une femme que Tara avait déjà vue deux ou trois fois. Une actrice, une Anglaise qui plus est. A Londres, toute la bonne société se méfiait de ce genre de femme, adulée par les hommes, crainte par leurs épouses et pourtant secrètement admirée par bon nombre d’entre elles.

D’un pas assuré, Esméralda Duncan se dirigea droit vers la table à laquelle Tara était assise, afficha un sourire parfait et salua chaleureusement la vieille dame, juste avant de se plaindre au sujet de l’ambiance qui régnait désormais au sein de l’institut. Tout cela effrayait son publique…
La remarque de l’actrice semblait si déplacée à la vue des circonstances que Tara en aurait presque rit.

A première vue, elle ne partageait pas grand-chose avec ce genre de femme mais, toute comme c’était secrètement le cas vis-à-vis de la garçonne, Tara aurait donné cher pour changer de place avec l’une d’entre elles, car ni l’actrice, ni la jeune farouche auraient été assez naïves pour se laisser entraîner pieds et poings liés dans un mariage comme celui dont était prisonnière la jeune Irlandaise.
Pour tromper ses inquiétudes et dissimuler le flot de pensées qui circulait dans sa tête, Tara pris sa tasse de thé et but une longue gorgée, histoire de ne se donner quelques secondes de plus avant de devoir agir. Voyant toutefois que tout cela ne la mènerait à rien, elle finit par reposer sa tasse, se leva et s’excusa auprès de ses convives.
« Je vas devoir vous laisser…il me reste que peu de temps avant mon interrogatoire et je crois que je ne devrait pas faire attendre ces messieurs. »

D'un geste lent, Tara pris son ombrelle, salua l'assemblée d'une voix éteinte et sortir du salon, le coeur battant.


TBC: Local Radio

La jeune femme continuait de se fourvoyer.

Le père Antoine, excédé par ses tentatives malhabiles pour essayer de le convaincre, inspira un grand coup, tachant de faire le vide dans son esprit, se concentrant pour garder un discours sage et véridique, plutôt que de se faire emporter pas les élans de son caractère.

Cette jeune sotte blasphémait. Elle s'éloignait du chemin de la vertu par son comportement et son accoutrement, et de plus elle tenait un discours stérile à l'abbé.

Elle lui répétait, simplement agencé différemment, ce qu'elle lui avait dit à l'instant.

Le jeune prêtre rouvrit les yeux et inspecta du regard cette blasphématrice.

"Etre unique n'est pas un but en soi. Seule la vertu doit guider vos actions. Rien ne doit être fait pour être reconnut par ses semblables, mais dans un but désintéressé dans l'amour du Seigneur. Sinon ce n'est que vantardise, ambition et égoïsme."

Antoine posa un regard accusateur sur son interlocutrice. Il espérait lui faire recouvrir le sens commun et la raison. Elle se fourvoyait ainsi accoutrée en homme, elle se donnait en spectacle, tout comme cette actrice vulgaire.

"Je crois que vous devriez vous confesser maintenant, vous tourner vers Dieu et Lui demander pardon. Vous pouvez encore expier le malin qui est en vous..."

Il avait dit ces derniers mot d'un ton plus bas, plus doux, pour inciter la jeune femme à le suivre, pour lui montrer que malgré son avis divergent, il n'était pas un ennemis mais voulait l'aider à recouvrer la raison...

Emma Oliver leva le nez, une lueur pétillante dans le regard, lorsque William précisa l'heure de son entretient avec une difficulté manifeste. Elle confirma sa réponse :

"Exactement, les interrogatoires commencent à 15h00 précises."

Elle jeta un oeil à l'horloge, il ne restait que dix minutes et elle regarda à nouveau Tara. Malgré le thé, sa nervosité était toujours palpable. Quand Hawkins prit congé, elle lui adressa un vague "à tout à l'heure" et replongea dans son ouvrage. N'ayant toujours pas décidé si ce départ était inquiétant ou risible, elle opta pour le parti pris de ne pas s'en faire. Finalement il lui rappelait le tenancier de la boucherie de son village, un homme gigantesque avec des mains d'étrangleur et une voix effrayante... et par ailleurs timide et incapable de tenir tête à la petite veuve Ascott quand elle l'accuse injustement de lui fournir de mauvais morceaux.

Esmeralda Duncan entra en scène au moment où il sortait. Elle lui adressa un sourire radieux tandis qu'elle se dirigeait vers elle et répondit chaleureusement à son salut. Elle avait toujours beaucoup aimé le monde du théâtre. Elle était peut-être un peu exubérante, mais cela ne la dérangeait pas, bien au contraire. Personne ne pouvait nier que sa présence et ses robes colorées illuminaient l'ordinaire gris de la clinique, et ce depuis le début du séjour et en toutes circonstances. Tara annonça soudain qu'elle partait, elle lui répondit, un peu attristée :

"Oh, vous nous quittez déjà ? Très bien, je dirai à l'intendante que vous êtes déjà dans le local, elle ne devrait plus tarder."

Elle la regarda un moment s'éloigner, droite et blanche comme une Ophélie. A sa façon, elle avait elle aussi l'air d'évoluer dans un drame théâtral en ce moment. Mais à présent qu'elle était seule avec l'être solaire de l'assemblée (de ce point de vue là, elle avait bien un trait commun avec le personnage de Victor Hugo) elle n'avait plus envie de se faire du mauvais sang. Elle l'invita à prendre un siège et répliqua un peu malicieusement à sa remarque :

"Il est vrai que l'ambiance est tout à fait maussade et que la terreur plane, mais ne devrions-nous pas plutôt en blâmer le coupable ?"

Il y avait peut-être un brin d'indulgence dans l'affection qu'elle lui portait.

Esmerald Duncan apprécia l'habileté d'esprit de Miss Oliver et pensa : Voici que notre vieille amie mène l'enquête...

Elle répondit avec une mine entendue :
- Il est vrai que la mort du Dr Narcisse est à l'origine de cette désagréable situation. Mais qu'est ce qui nous prouve aujourd'hui qu'il a été assassiné ? Ne pourrait-il pas s'agir d'une banale crise cardiaque, après tout ?... La rumeur circule souvent plus vite que la vérité...

L'actrice observa un instant son interlocutrice puis reprit :
- La police enquête, c'est entendu et c'est bien normal, elle fait son travail. Mais de là à nous faire subir le "supplice de la radio", sous prétexte que nous sommes isolés par la neige... Ne peuvent-ils pas attendre ? Après tout, nous n'allons pas nous envoler !
Non vous ne m'ôterez pas de l'idée que ce sont leurs méthodes déplaisantes qui effraient les gens, plus que cette rumeur d'un assassin à Cathara, qui, jusqu'à preuve du contraire, est sans fondement...

Elle émit un petit ricannement et continua :
- Savez-vous qu'on m'a déjà proposé d'enregistrer une pièce pour la BBC. J'ai bien évidemment refusé : rendez-vous compte, jouer sans public... c'est inimaginable ! Je leur ai dit :" Apportez votre engin dans le théâtre s'il le faut, je ne jouerai pas seule devant une machine ! ".
Enfin, voyez-vous, il va me falloir y passer, comme tout le monde...

Esmeralda s'arrêta un instant de parler. Le rouge lui montait au joues à l'évocation de cette radio qui, selon elle, mettait en péril le théâtre. Consciente d'avoir une fois de plus ramené la conversation à son métier, elle rajusta son châle et repris, sur le ton de la confidence :
- Entre nous, je ne parviens pas à imaginer qui parmi nous aurait pu... Rendez-vous compte, assassiner quelqu'un, ce n'est pas rien tout de même ! Celà doit être rudement difficile...

Elle prit un air songeur, comme si elle tentait de se mettre dans la peau du meurtrier...
Son regard se promena à travers la pièce et s'arrêta sur Perle, qui la fixait au même instant.

- Elle a un regard cette petite ! Quand je l'ai vue arriver pour la première fois habillée en homme, j'ai cru qu'elle allait nous jouer quelque chose... je suis convaincue qu'elle devrait faire du théâtre, voyez-vous.

L'actrice sourit à la jeune femme et l'invita, d'un geste de la main, à venir s'asseoir à leur table.

Décidément, les Cuisines devaient être une invention au moins aussi divine que Le Chat lui-même.
Ce parfum, ces saveurs … Le Chat en avait encore les moustaches frétillantes !

Et il avait encore l’eau à la bouche en songeant à ces magnifiques morceaux de viandes dont il s’était fait le goûteur d’un soir.
Habituellement, la nourriture des Humains étaient insipides. Tout ça parce qu’il fallait, paraît-il, les nourrir d’aliments sains pour que leur cure soit efficace et nianiania et nianiania.
Mais, profitant du repis accordé par la mort du tyrannique Docteur Narcisse, les Cuisinières avaient sorti les mets les plus fameux ...
Le Chat, lui, s’en fichait. La maisonnée avait toujours milles attentions pour lui et, malgré le régime que le Docteur Narcisse avait vainement tenté de lui faire suivre, il avait toujours la panse bien remplie.
Et Son Maître qui croyait tout simplement que sa thérapie avait miraculeusement agie puisque Le Chat dédaignait les rares friandises qu’il lui tendait …
Le Chat aurait pu se sentir coupable de duper ainsi le Docteur Narcisse.
Mais non. Ça lui était égal.

Toujours plongé dans les brumes de ses souvenirs culinaires, Le Chat se dirigea vers le Salon qui semblait avoir été investi d’une grande partie des être inférieurs de la maisonnée.
Après un bon repas, rien ne vaut un repos réparateur accompagné de caresses et de gâteries.

Alors qu’il arrivait au bout du couloir, Le Chat vit la porte s’ouvrir. Le bruit des voix s’amplifia, l’attirant comme un aimant.
Augmentant le rythme de sa démarche aristocratique, il arriva à la hauteur de la jeune femme qui sortait.
Sans lui prêter la moindre attention –alors que celle-ci devait être en train de s’émerveiller de son splendide pelage fauve-, Le Chat pénétra dans le Salon.
La jeune curiste ne devait pas l’avoir vu puisqu’elle referma la porte d’un coup sec, ébouriffant la queue du Chat qu’il eut bon goût de redresser afin qu’elle ne soit pas coincée. En réalité, c’était une attitude de pure défi pour montrer sa supériorité mais, pour une fois, cela lui avait servi …
Doublement vexé, Le Chat lui adressa un « Maou ! » réprobateur avant de se tourner vers son public émerveillé.

D’une démarche lente et luxueuse, il se dirigea vers le centre de la pièce où il s’assit sur son séant.
Conscient d’être le point de mire de tous, il commença tranquillement à faire sa toilette, léchant son long poil lustré, ne négligeant aucun endroit de son corps d’athlète.
Lorsqu’il eut finit, il passa sa patte derrière son oreille. Et dire que les Humains avaient la croyance ridicule qu’il s’agissait par là d’un indicateur météorologique …

Puis, il se redressa et lança un regard dédaigneux sur l’assemblée.
Il scruta chacune des personnes présentes de son regards de velours.
En réalité, il choisissait lequel de ses admirateurs aurait l’immense honneur de l’accueillir sur ses genoux.

Il rejeta d’amblée les gens qui n’étaient pas assis, jugeant cette position plus encline à lui offrir un coussin moelleux et finit par jeter son dévolu sur une vieille dame.
Les personnes âgées étaient ses plus fervents admirateurs et les plus généreux.

Il s’approcha lentement de Miss Oliver et posa ses yeux de cuivre sur elle.
Considérant qu’il était impensable qu’elle refuse une telle distinction, il bondit souplement sur ses genoux, repoussant par là son tricot.

*Quelle tâche stupide.*

A vrai dire, tout ce qui ne concernait pas Le Chat lui-même lui paraissait stupide …
On peut donc aisément comprendre qu’il ne voit pas l’intérêt profond de piquer une pelote de laine avec deux morceaux de métal.

Le Chat se plaça tout d’abord en station assise, dominant royalement son monde.
Son attitude le faisait ressembler à un de ces chats divins d’Egypte et on voyait en lui toute la prestance nécessaire à une telle position sociale.

Puis, s’allongeant, il se mit à ronronner doucement comme pour encourager la vieille dame à le caresser.

Perle ne pu retenir un petit hoquet de surprise à la réponse du père Antoine. Elle se rendit compte que son discours ne lui plaisait vraiment pas… Les mots «cas désespéré » lui effleurèrent l’esprit… Un mince sourire s’inscrit sur ses lèvres.

Ce « curé » ne voyait la vie qu’avec un regard coincé d’homme d’église ! Il faut vivre avec son temps que diable ! Enfin oui disons plutôt qu’il faut savoir évoluer un peu c’est plus approprié à la situation ! Son attitude la révoltait …
En plus, maintenant, il l’invitait à se confesser ! Là c’était trop ! Perle ne l’entendait pas de cette oreille ! Mais le ton du père Antoine s’était radouci sur cette parole et Perle se dit qu’il vaudrait peut-être mieux en rester là et s’éloigner discrètement plutôt que de risquer de le fâcher d’autant plus.

A ce moment, elle s’aperçu qu’Esmeralda Duncan venait de lui faire signe afin qu’elle vienne se joindre à la table qu’elle occupait avec cette gentille vielle dame. Perle se plaisait d’ailleurs à l’imaginer en détective amateur… Non pas qu’elle en avait l’air mais, elle était toujours toute gentille et surtout attentive à tout ce qui l’entourait, se produisait et se disait dans son entourage.

Toute à ses observations Perle remarqua le chat qui venait de faire son entrée et observa son manège depuis sa toilette jusqu’au moment où il se dirigea vers miss Olivier pour aller se camper sur ses genoux.

Forçant son esprit à revenir aux pensées qui la préoccupaient, Perle se rendit compte que le père Antoine attendait peut-être une réponse et elle se dit qu’elle se devait de prendre une décision quant à l’attitude à adopter.
Soit elle allait rejoindre ce charmant petit groupe et par la même s’avouait vaincue par rapport au père Antoine, soit, elle continuait à lui tenir tête mais en sachant bien qu’il ne lâcherait pas le poisson si facilement et que, pour lui, la seule solution était la confession et la purification de l’âme par elle ne savait quels moyens et ne tenait d’ailleurs pas à l’apprendre… !
Elle prit la décision de s’éloigner de lui. Temps pis pour sa fierté ! Mieux valait plier cette fois plutôt que de s’enfoncer encore plus ! Et puis, franchement, avec sa vision des choses tenter de lui expliquer son point de vue devenait très difficile…
De plus la tentation de parler avec Esmeralda fini de la convaincre. Elle avait envie de la connaître un peu plus cette femme excentrique et si magnétique malgré son côté parfois agaçant…
Perle prépara mentalement sa réponse au père Antoine. Elle préférait lui faire comprendre qu’il ne devait pas espérer la voir se confesser de son vivant…
Elle prit donc la parole :
"Je n'envisage pas de me confesser dans les jours qui viennent mon père et je ne considère pas ma façon d'être comme une tare ni une incarnation du malin, sur ce je vous prie de m'excuser..."

Elle fit une révérence à la manière d'un homme et se dirigea vers la table à laquelle on l'avait priée.
Elle s'en aprocha et se présenta poliment:
"Bonjour! Je me nomme Perle Dulac. Cela ne vous dérange pas si je me joins à vous?"

Antoine pensais avoir du mal à convaincre la jeune femme, il était loin du compte.

Cette péronnelle lui répondit avec une insolence rare. Comment avait il put penser lui venir en aide. Elle n'était pas simplement perdue, elle cherchait volontairement à se perdre. Elle n'avait aucun respect pour elle même ni pour la hiérarchie épiscopale. Bien, grand bien lui fasse.

Antoine avait beaucoup de gens qui attendaient son aide et sa présence dans la vallée. Penser à ses paroissiens lui était douloureux, eux qui étaient si dévoués, alors que lui même restait cloitré ici avec des artistes et des blasphémateurs.

La jeune femme s'était réfugiée auprès de l'actrice. Antoine aurait bien voulut parler avec Miss Oliver, qui semblait garder une distance avec ses d'interlocutrices. Cette femme semblait intelligente, avec son air de ne pas y toucher. Elle observait.
Malheureusement, elle était entourée des deux personnes qu'Antoine avait le moins envie de voir à ce moment.

Le gros inspecteur anglais était partit, ainsi que la frêle jeune femme qui semblait toujours triste. Les pensées de l'abbé allèrent vers elle. Que vivait-elle? Il n'en savait rien, il ne lui avait jamais vraiment parlé. Se tournant à nouveau vers la fenêtre, il replongea son regard dans l'immensité blanche et reprit sa méditation.

Miss Oliver savait qu’Esmeralda était une interlocutrice exigeante, aussi elle décida de se consacrer à la discussion et d’oublier un moment son tricot. Elle sentit un picotement dans sa nuque à sa réplique. En effet, rien n’était encore certain à propos de ce décès. Pourtant elle avait l’intuition qu’il s’agissait bel et bien d’un crime. Il faudrait qu’elle se penche sur les raisons de cette impression. Il y avait bien sûr les multiples précautions qui avaient été mises en place par l’inspecteur et l’intendante. Ce scellé sur la porte de la chambre… Et l’attitude de cette même intendante. Il était évident qu’elle avait été très proche du défunt docteur et au lieu de se laisser aller au deuil (mais est-ce que cette femme était simplement capable de se laisser aller ?), elle hantait l’institut avec une expression froide et dure et, surtout, elle vous dévisageait en vous soupçonnant, c’était clair comme de l’eau de roche. Mais il n’y avait pas que ça. Si elle arrivait à déterminer qui dans l’institut lui avait donné l’impression de méditer un crime, elle aurait une piste sérieuse.
Elle préféra ne pas se mouiller en répondant :
"Nous saurons très vite de quoi il retourne. L’intendante doit nous amener le rapport d’autopsie aujourd’hui."

A vrai dire, elle ne considérait pas non plus que les mesures de la police soient exagérées. Il n’était pas exclu que le meurtrier trouve le moyen de s’enfuir. D’ailleurs il en était toujours ainsi lors d’une mort suspecte, on interrogeait tous les témoins. Pourquoi pas ici et par radio ? Elle ajouta :
"Vous savez, je pense que c’est surtout la perspective d’être en huis-clos avec un tueur qui effraye. Même sans les mesures de la police, il y aurait de nombreuses raisons pour avoir peur. Je vous avouerais que j’éprouve parfois moi-même l’envie de me changer en souris et d’observer ce qui va suivre à l’abris d'un petit trou."

Comme par magie, le chat du docteur Narcisse apparût en cet instant et lui fit rectifier en riant :
"Ah, j’oubliais. Si je devenais une souris, je devrais craindre notre ami félin."

Peu après, ce dernier s’invita sur ses genoux. Elle adorait les chats, spécialement ces merveilles de chats persans, tellement imposants et mystérieux. Mais c’était une passion dangereuse car elle souffrait d’une légère allergie, avec les chats persans en particulier à cause de leurs longs poils. Elle avait remarqué que c’était pire quand ils venaient de faire leur toilette. Mais qu’étaient quelques éternuements par rapport au bonheur d’être choisie comme favorite par le prince des chats ? Elle était tout bonnement incapable de repousser une affection offerte aussi spontanément. Bien sûr il était possible qu’il savait qu’elle était allergique et qu’il venait sur ses genoux par malice. "Qui sait avec les chats ?"

Elle sourit, lui gratouilla la nuque et plongea la main dans son abondante fourrure dans le but de le faire ronronner. Tout en prenant garde de ne pas trop respirer et de ne pas se frotter les yeux. Comment résister à ce sentiment de sérénité qu’on éprouvait avec un chat ronronnant d’extase dans les bras ? Elle songea avec amusement qu’ayant déjà d’ordinaire l’air sereine, elle devait en cet instant avoir l’air d’atteindre l’éveil spirituel.
A l’anecdote d’Esmeralda sur la BBC, elle s’était contentée de sourire. Elle connaissait d’autres acteurs qui auraient répondu la même chose. Elle comprenait très bien qu’on puisse préférer à ce point le charme du théâtre. Mais comme la conversation reprenait un ton sérieux, elle répondit :
"C’est vrai, c’est une chose qu’heureusement bien peu de gens pourraient accomplir, même avec la volonté pour le faire."

Mais ce n’était pas ce qu’Emma Oliver pensait. Elle avait entendu tant d’histoires ahurissantes de son neveux, plus rien ne l’étonnait. Au fond, il fallait une forte volonté et une âme intègre pour ne pas tuer quand on avait toutes les raisons de le faire. Le sentiment de vengeance était loin d’être mort et il n’était pas rare qu’une mère de famille use de l’empoisonnement. L’argent, raison qu’on invoquait si souvent, n’était selon elle que le prétexte. Il suffisait que la personne visée par le criminel ait fait subir frustrations, humiliations et une infinité de petites choses qui une fois empilées prenaient des proportions démesurées. Puis venait l’argent ou l’amour et on sautait le pont. Elle savait qu’il ne fallait exclure aucune possibilité. Il était impossible d’établir le profil type d’une personne capable de tuer quand il s’agit de tuer une fois et une seule.

Elle sourit en entendant Esmeralda exprimer à sa façon l’impression qu’elle avait elle-même ressentie en rencontrant Perle Dulac, habillée en homme pour la première fois. Elle était contente d’avoir là l’occasion de faire connaissance avec elle. Elle répondit avec empressement lorsqu’elle se présenta, gardant pour elle la petite pointe de tristesse qu’elle éprouvait pour le prêtre, laissé à nouveau seul, et souriant aimablement à la nouvelle venue :
"Mais bien sûr ! Enchantée de vous connaître, je m’appelle Emma Oliver, c’est Miss Oliver."

Elle voulut ajouter quelque chose mais une série de trois éternuements brefs l’empêcha de parler. Une petite crise d’allergie commençait ; elle allait déranger son altesse Chat et il la laisserait seule dans son affliction, sans aucune pitié pour sa favorite, qui s’était pourtant exposée à cet inconfort pour ses beaux yeux. Quel drame que cette maladie idiote ! Au moins il irait trimballer ses substances allergènes un peu plus loin…

Quand Le Chat vint s'installer sur les genoux de Miss Oliver, Esmeralda dit à cette dernière :
"Il vous a adoptée. Quelle chance ! Je suis comme vous, j'aime beaucoup les chats. Il y a tant de mystère dans leur regard !..."
Puis plus tard, devant les éternuements de la vieille dame :
"Quel dommage, cette allergie ! Il faudra en parler au Doct... et bien non... suis-je bête !... Mais voici que Monsieur Chat nous quitte à présent. Je me demande comment il vit la disparition de son maître..."

Esmeralda adressa ensuite un sourire à Perle puis écarta une chaise de la table avec un geste théâtral :
"Prenez place, Mademoiselle Dulac !"
Elle croisa au même instant le regard glacé du Père Antoine et pensa "La rigidité des hommes d'église est sans limite... Quel oeil sinistre, alors que nous ne faisons rien d'autre que bavarder après tout !"
L'actrice, qui se considérait comme définitivement connue de tous à Cathara, jugea inutile de se présenter et poursuivit :
"Les tristes évènements qui endeuillent le centre actuellement auront au moins pour avantage de nous permettre de faire plus ample connaissance... Perle... si je puis me permettre de vous appeler par votre prénom qui, soit dit en passant, est poétique et original".
Décidement, cette jeune femme était presque aussi énigmatique que le chat et l'actrice était intriguée par cette sorte de 'travestissement au quotidien' qu'elle incarnait et qui n'avait rien de théâtral celui-là, finalement...
"Avant votre arrivée, Miss Oliver et moi échangions nos points de vue concernant la mort brutale du Docteur Narcisse et la situation d'isolement dans laquelle nous nous trouvons... Quel est votre avis personnel à ce propos ?"

(Je m’excuse pour les fautes : mon correcteur orthographique ne marche plus … Et pour la nullité et l’inutilité, je vous avais prévenus !)

Le Chat se mit à ronronner de plus en plus fort, à mesure que les doigts de la vieille dame parcourraient son cou en tout sens. Certes, elle lui retournait les poils désagréablement mais que n’aurait-il pas donner pour qu’elle continue encore et encore ? !
Si Le Chat avait eu la passion de la philosophie ou seulement l’envie de réfléchir, peut-être ce serait-il demandé pourquoi ce genre de gratouilles lui faisaient autant de bien. Mais, apparemment, il s’en fichait.
Après avoir jeté un long regard désabué à la petite troupe qui entourait Miss Olivier et qui devait sûrement avoir les yeux rivés sur lui en raison de sa profonde majesté, notre ami félin s’étira longuement, rentrant au passage ses griffes dans les cuisses de sa bienfaitrice. Ce faisant, sa queue se dressa, peut-être de satisfaction, et caressa le visage de Miss Olivier, accélérant son allergie. Quelques secondes plus tard, Le Chat sautait de son perchoir en miaulant sauvagement. LUI ? ! Se faire « éjecté » comme un vulgaire chien par une série d’éternument !

Jetant un regard furibond à Miss Oliver, il se dandina aristocratiquement pour se trouver aux pieds d’Esmeralda et de Perle, nouvellement arrivée. Ignorant superbement l’actrice, il renifla avec prudence les jambes de la jeune fille habillée à la garçonne puis, comprenant qu’elle ne comportait aucun danger, se frotta langouresement à son pantalon.
Il adressa un nouveau regard mauvais à la vielle dame si indélicate puis avança de sa démarche lente mais sublime vers le tapis au centre de la pièce.
Ces simples humaines ne méritaient décidément pas son attention.
Se posant sur son séant, il contempla l’assemblée d’un air morne avant de se lécher consciensieusement le poil comme si les miasmes quié taient retombés sur sa magnifique toison l’avait entachée.
L’agitation était à son comble. (Si l’on pouvait parlé d’agitation … Quoique, pour Le Chat, n’impore quel bruissement léger pourrait passer pour de l’agitation …)
A ce qui lui semblait, les humains parlaient de la mort du Maître et Le Chat les regardait avec suffisance, conscient de leur être supérieur dans ce domaine également.
Avisant le prêtre, seule personne à l’aspect calme et austère (tout pour plaire à notre ami félin !), il se dirigea vers lui. D’un bond souple et harmonieux, il se percha sur le rebord de la fenêtre et s’y allongea avec délice, attendant la précieuse main qui pourrait mettre fin à l’affreux gratouillement qui l’avait repris depuis qu’il abait quitté l’abri soyeux des genous de Miss Oliver.
Son ronronnement se fit de plus en plus insistant, comme une invitation …

(J’ai voulu expliquer la présence du Chat près de la fenêtre par un radiateur mais étant donné que je ne suis pas sûre que ça existait (et surtout à cet emplacement) à cette époque, je n’ai rien dit. Mais quand même, un Chat qui se rapproche du froid et s’éloigne de la chaleur o_o Quoique, les persans ont un gros poil … Mais bon :/)

Perle fut ravie de l’accueil que lui réservèrent Esmeralda et miss Olivier, elle ne s’attendait pas à tant de chaleur de la part ces personnes !
"Enchantée miss Olivier ! " Elle lui souriait lorsque la pauvre femme fut secouée d’une série d’éternuements.
"Merci bien!" répondit-elle à l’invitation d’Esmeralda et elle prit place parmi elles.
Comme le disais si justement celle-ci, les pensionnaires n’avaient pas encore bien fait connaissance et Perle se disait que ce serait l’occasion d’un peu connaître mieux ces deux femmes…
"Je suis ravie que mon prénom vous plaise ! Et puis-je vous appeler Esmeralda ?"
Perle avait l’habitude qu’on la complimente sur son prénom, pratiquement tout les gens qu’elle avait rencontré lui avaient part de son originalité et de sa poésie, mais cette fois le compliment la toucha plus que d’habitude… Elle ne savait pas pourquoi…

Elle observa le chat qui se trouvait il y a peu de temps sur les genoux de miss Olivier et qui maintenant s’approchait d’elle avec, certainement, une idée en tête. De fait, celui-ci se mit à se frotter à ses jambes mais elle n’eu guère le temps de le caresser car, à peine s’était elle penchée que celui-ci avait déjà repris son petit bonhomme de chemin vers le tapis au centre de la pièce. Ce chat était manifestement conscient de sa beauté… Il suffisait d’observer la manière dont il déambulait dans la pièce… Sur cette pensée Perle ne pu retenir un sourire.

Elle se détourna de sa contemplation du chat pour répondre à la question que venait de lui poser Esmeralda.
La mort du docteur Narcisse… Elle y avait déjà songé mais… Etrangement, ce fait n’accaparait pas ses pensées et elle y pensait rarement. Ce qui la préoccupait d’avantage c’était cet isolement qui c’était accentué à cause des conditions climatiques déplorables…
Au paravent, Perle se sentait déjà isolée dans ce lieu clos mais pas autant que maintenant et elle avait l’impression de devenir claustrophobe…
"Hé bien je ne sais pas vraiment que dire à propos de cet assassinat… » Elle regarda miss Olivier et ne pu s’empêcher de se demander ce que pensait celle-ci…
« Cela ne peut être que quelqu’un d’ici c’est certain ! Mais ce n’est pas rassurant du tout de savoir un tueur en liberté dans cette demeure coupée de tout élément extérieur ! Car qui nous dit qu’il n’en voulait qu’au docteur ? »
A ses mots, elle frissonna et regarda Esmeralda. Elle esquissa un sourire et repris, le regard dans le vague :
« En même temps il n’y a plus eu de meurtre depuis… Donc peut-être que je me trompe ! Je l’espère en tout cas ! Cela me rassurerait beaucoup… »
Et c’était vrai, si Perle parvenait à se persuader que ce n’était peut-être que le docteur qui était visé elle aurait certainement moins peur… car après tout pourquoi en vouloir aux autres curistes qui étaient, eux aussi, des victimes de cet affreux docteur ???
« J’aimerais également avoir votre avis sur la question !... si cela ne vous dérange pas ! »
Elle regarda alternativement Miss Olivier et Esmeralda et croisa les jambes.

Le jeune abbé ne pouvait s'empêcher d'écouter la conversation des trois femmes. Elle étaient inquiètes. Inquiètes de ne pas savoir qui était le meurtrier. Inquiètes d'être enfermées ici avec lui. Inquiètes de la mort de ce pauvre docteur...
Et surtout, inquiètes à l'idée que le meurtrier recommence à tuer.
Antoine ne parlait pas anglais, mais la guerre vous permet parfois d'apprendre des choses utiles. Aumônier sur le front, il avait côtoyé des soldats de toutes origines. Il connaissait oralement des rudiments d'anglais et d'allemand, assez en tout cas pour saisir l'idée générale de la conversation.

Le chat qu'il avait vu entrer quelques minutes auparavant s'était installé sur l'appui de fenêtre, à portée de caresse.
Antoine aimait bien les animaux. Ces créatures du bon dieux étaient incapable de félonie et de cruauté. Elles vivaient leur petite vie sans se soucier des aléas du monde, sans juger les actions de personnes.
Antoine aurait aimé avoir leur esprit simple et libre.

Pensivement, le jeune prêtre porta une main légère sur la tête de l'animal qu'il commença à grattouiller sous le menton. Il avait le poil doux et lustré. Un bon chat de maison, habitué aux hommes et avide d'affection. Brave bête.

Cependant, Antoine pensait à ce que ces trois femmes disaient. Si jamais ça se reproduisait? Si il y avait un autre meurtre...?
Il fallait essayer de savoir pour quelles raisons le docteur avait été assassiné.
Cela pouvait il avoir un rapport avec ce qu'Antoine avait découvert quelques temps auparavant sur le médecin et directeur du centre?
Ce qu'il avait découvert était trop gros pour ne pas impliquer des personnes importantes. Enfin, avant de remuer cette sordide histoire, Antoine préférait tirer les choses au clair. Eviter de remuer le passé si cela n'était pas nécessaire. Car tout ceci lui retomberais forcément dessus. Et alors...
La gorge nouée, l'abbé chassa cette pensée.
Il était prêtre, il se targuait d'essayer de comprendre au mieux les âmes des gens. Et ce qui l'inquiétait présentement, c'était la nervosité pourtant dissimulée, des trois femmes. Il avait quelques ressentiments pour deux d'entre elle mais il devant passer outre. Un homme de Dieu se doit d'aider son prochain lorsque celui ci est dans le doute, sans mettre ses considérations en jeu.

Continuant à caresser le chat, le jeune prêtre décida d'interrompre la conversation, ou plutôt, de s'y intégrer... en français. La jeune fille venait de poser une question pertinante sur laquelle il voulait intervenir.

"hum hum... Mesdames, permettez moi..."

Il n'acheva pas sa phrase, il préférait continuer tout de suite sur l'idée qu'il avait en tête.

"J'ai un peu écouté malgré moi mais... C'est vrai qu'il serait utile pour écarter tout danger de savoir si ce crime restera un acte isolé ou non... Nous ne pouvons pas attendre que la police fasse sa pseudo enquête à distance. Nous devons découvrir pourquoi le docteur Narcisse a été tué. Cela pourra au moins nous permettre de découvrir si nous risquons quelque chose ou pas..."

Miss Oliver laissa s’échapper l’énigmatique félin sans chercher à le retenir et pressa aussitôt son mouchoir sous son nez sans parvenir à retenir une série d’éternuements brefs. Elle le regarda gagner le centre de la pièce puis choisir le père Antoine comme nouvel élu au travers d’une larme que l’allergie lui faisait perler au coin de l’œil. La petite bévue d’Esmeralda ne la fit pas tiquer, elle lui était déjà arrivé d’en commettre de plus belles, c’était toujours difficile de réaliser que quelqu’un était mort. Par contre elle lui répondit, une fois remise de ses éternuements :

"Oh ça ne se soigne pas vous savez, mais ce n’est pas dangereux. Je m’accommode bien des symptômes… Mais c’est vrai que ne pas pouvoir avoir d’animaux me fait de la peine."

Puis la conversation commença avec Perle, à leur échange sur le prénom, elle ajouta :

"Esmeralda est aussi un prénom très poétique, ça signifie émeraude je crois ? Sans parler du personnage de Victor Hugo."

On avait dû lui faire la même remarque une bonne centaine de fois, mais elle venait de faire la même chose avec Perle et on pardonne ce genre de fantaisies aux vieilles dames. Elle reprenait ses pelotes quand Perle commença à exprimer son avis sur la situation, elle l’écouta attentivement avec un hochement de tête encourageant à chacune de ses hésitations. Elle sentait déjà qu’elle aillait bien aimer cette petite. Elle aussi avait eu une petite période ou elle avait affiché son côté femme progressiste dans sa tenue. Enfin… A l’échelle des mœurs de sa génération bien sûr. D’ici peu elle pourrait bien avoir envie de lui dire "tu me rappelles moi quand j’étais jeune".

Quand elle sollicita leur avis, elle se sentit soudain à court de mot. C’est à ce moment que le père Antoine s’introduisit discrètement à leur table. Il parla français, c’était bien normal, mais elle ne s’attendait en revanche pas à ce qu’il ait compris un traître mot de leur conversation, il en avait pourtant belle et bien saisi l’essentiel. Ravie d’avoir une occasion de s’exprimer dans cette merveilleuse langue, (n’était-ce pas pour ça qu’elle était venue ici ? On était dans les Alpes françaises et on trouvait à peu près autant de Français qu’à Londres, un comble), elle lui répondit avec un léger accent dû à l’exaltation :

"Bonjour mon Père !! Je n’espérais plus vous voir venir à notre table, mais installez-vous, je vous en prie."

Il restait un siège à côté d’elle, c’était parfait, elle pourrait lui traduire facilement ce qui se dirait dans la conversation, bien qu’en fait il semblerait qu’il n’en ait pas vraiment besoin :

"J’ignorais que vous compreniez l’anglais. Le docteur Narcisse, paix à son âme, m’avait pourtant dit que vous ne le parliez pas. Avez-vous besoin que je traduise ? Oh mais nous pourrions continuer en français, nous sommes trois à le parler à cette table et vous avez un avis très intéressant sur la question, ce serait dommage de vous isoler. Permettez que j’explique ceci à Esmeralda…"

Rapidement, elle expliqua ce que venait de dire le jeune abbé à l’actrice et lui demanda si elle permettait qu’on poursuive dans la langue de Molière en lui traduisant. Elle s’interrompit brusquement en abandonnant à nouveau l’anglais (quand elle était sur sa lancée, il lui était difficile d’arrêter.)

"Oh mais j’oubliais ta question, Perle, excuses-moi. Je pense que tu as raison, la seule personne visée devait être le docteur Narcisse, les trois jours écoulés le prouvent. Il faudrait que l’un d’entre nous ait un lien direct avec lui pour se sentir menacé... Et dans ce cas je pense qu’il saurait pourquoi il a été tué, mais je m’égare... Tu pourrais effectivement courir un danger si tu découvrais, volontairement ou non, quelque chose de capital pour résoudre l’enquête et que le tueur l’apprenait."

Ceci répondait en même temps à la suggestion du père Antoine, voilà pourquoi elle avait choisi de parler dans une langue qu’il comprenait parfaitement. Elle était assez fière d’elle pour cette petite tirade, peu d’hésitations, pas trop d’accent. Elle n’était pas si rouillée que ça. Malgré l’avertissement que pouvaient contenir ces paroles, le ton avait été naturel, presque insouciant, et elle n’avait pas ressenti le besoin de les appuyer d’aucune façon pour en transmettre le sens.

Esmeralda ne s'attendait pas à une demande réciproque venant de Perle, dont elle apprécia la spontanéité juvénile. La témérité de la jeunesse est toujours rafraîchissante pour l'esprit...
"Mais avec joie, Perle, vous pouvez !..." lui lança-t-elle en souriant.
Miss Oliver intervint, le sourire d'Esmeralda s'éclipsa un bref instant, puis réapparut tandis qu'elle répondait à la vieille dame :
"Oui, c'est exactement cela. Esmeralda signifie émeraude... en espagnol."
Puis, brandissant joyeusement sa main gauche où brillait, entre autres bijoux, une magnifique bague d'argent surmontée d'une émeraude imposante, elle ajouta :
"D'ailleurs, je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'il s'agit de ma pierre préférée !"

L'actrice prit soudain conscience que le Père Antoine s'était approché de la table. Elle s'empressa de ramener sa main puis s'efforça de se concentrer sur les paroles de l'homme d'église, dont elle ne comprit finalement que quelques mots.
Quand Miss Oliver se proposa de traduire l'entretien, elle accepta de bonne grâce :
"J'ai appris à lire le Français mais je suis pratiquement incapable de suivre une conversation, et encore moins de m'exprimer dans la langue de Victor Hugo. J'aurais bien besoin que vous me donniez quelques cours ! Enfin, parons au plus pressé : qu'a-t-il dit exactement ?"

Quand elle eut enfin saisi la teneur des propos du prêtre, Esmeralda sourit de nouveau et claironna :
"En somme, le Père Antoine nous propose de devenir des détectives en herbe ! Et bien, pourquoi pas après tout... je suis prête à jouer le jeu. Vous allez parvenir à me convaincre que nous sommes en danger !"
Plus sourdement, elle ajouta :
"Mais attention, nous risquons de nous retrouver dans une situation troublante : si nous partons du principe que le meurtrier est parmi nous, nous entrons dans l'ère du soupçon généralisé...
En même temps, nous ne pouvons pas rester les bras croisés en attendant l'éventuel prochain meurtre.
C'est pourquoi, je propose que nous restions solidaires autour d'une idée simple : protéger nos vies. Organisons des tours de garde, s'il le faut ! Celà semblera peut-être romanesque à certains... mais il se trouve que je tiens la littérature pour une source inépuisable d'inspiration dans la conduite d'une vie."
Elle regarda successivement Perle et le Père Antoine, les deux convives sur qui cette dernière phrase pouvait produire le plus d'effet, pour des raisons d'ailleurs opposées, et poursuivit :
"Et surtout, si nous menons l'enquête, faisons le discrètement, afin de ne pas inquièter les autres pensionnaires. Je veux bien me charger de les distraire par des chants et des tirades, afin qu'ils ne se doutent pas de nos manigances !"
Après tout, il n'y avait aucune raison d'abandonner les concerts et autres représentations théâtrales qui avaient fini par apporter une certaine joie parmi les patients de Cathara...

[Chambres, Dans le couloir]

Ce fut Ernestine qui poussa les portes du salon, mais elle invita l'inspecteur déboussolé à entrer le premier, sans aucune pitié pour la honte qu'il éprouverait en révélant ainsi à tous que c'était elle qui l'avait reconduit ici comme un enfant désobéissant. Elle lui emboîta le pas et se posta devant les portes après les avoir refermées. Elle s'assura que l'attention de tous était dirigée vers elle avant de prendre la parole en français :

"Bonjour. Je vous remercie d'être tous présents pour cette première série d'interrogatoires. Je suis bien consciente du désagrément que cela implique, mais sachez que les membres du personnel et moi-même se plieront aussi à l'exercice... Et qu'il en va de notre sécurité à tous.
Je peux maintenant vous révéler qu'une autopsie sommaire du défunt docteur Narcisse a été effectuée ce matin, grâce aux talents de notre médecins. Aucune meurtrissure externe n'a été découverte, il est mort paysiblement dans son sommeil..."

Elle marqua une pause dramatique, tous les patients devaient être pendus à ses lèvres, et consentit enfin à achever :

"...D'une intoxication au cyanure par les voies pulmonaires. En d'autres termes, le docteur est mort d'avoir respiré un gaz toxique qu'on avait volontairement laissé s'échapper en abondance dans sa chambre. Le cyanure a pour caractéristique de dégager une odeur d'amande amère, vous êtes maintenant prévenus, soyez sur vos gardes."

Elle prit une inspiration en baissant les paupières : rien que d'imaginer ce qui s'était produit, elle se sentait mal. Elle aurait pu s'écrouler sur la chaise la plus proche. Mais elle n'en avait pas le droit, elle devait rester inébranlable. Elle reprit rapidement le plein contrôle d'elle-même et ajouta, d'une voix aussi ferme que précédemment :

"Certains d'entre vous trouveront sans doute que je prends le risque de faire naître un état de panique en vous avertissant. J'en prends la pleine responsabilité. Mais comprenez le but de ma démarche : nous avons besoin de votre aide à tous pour découvrir le coupable. Et si le fait de connaître l'arme du criminel pouvait vous sauver en cas de second meurtre, le jeu en vaut la chandelle. A partir de la nuit prochaine, des rondes seront organisées dans les couloirs pour garantir votre sécurité. Je vous serais gré de respecter l'interdiction de quitter le salon pendant toute la durée des interrogatoires. Je viendrai vous cherchez un par un pour vos entretiens respectifs, merci pour votre attention."

Même si ce n'était pas de gaieté de coeur, elle reprit ensuite l'entierté de son discours en anglais. Ceci fait, elle tourna les talons et se dirigea vers le local radio pour contacter l'inspecteur Vinak.

[local radio, entretient de Tara Willoughby]

La réponse de miss Olivier rassura Perle mais en partie seulement ! Car s’il était pratiquement certain à présent que le tueur n’en voulait qu’au docteur Narcisse, il était en revanche risqué de découvrir malgré sois quelque chose de compromettant !
Et puis surtout il serait dangereux pour tous que certains secrets soient ébruités !

A cet instant le père Antoine fit irruption dans la conversation. Il avait écouté leurs échanges et se permettait de donner son avis… En français en plus ! Mais visiblement il avait tout de même compris une grosse partie de leur conversation en anglais, il devait donc en savoir plus qu’elle ne le pensait au paravent ! Il faudrait se méfier ! Si ce bonhomme comprend la langue de Shakespeare, le moindre de ses mots peut être perçu… A son désavantage bien sur… En pensant cela Perle fut parcourue d’un frisson irrépressible …
Elle le regarda s’asseoir parmi elles et aquiécia à la proposition de Miss Olivier de poursuivre en français.
Pauvre Esmeralda ! Elle allait devoir patienter à chaque fois le temps que Miss Olivier lui traduise tout ! Elle manquerait donc certains détails de la discussion… Dommage pour elle !

Perle était partagée entre l’excitation et l’inquiétude à l’idée de mener une petite enquête dans le manoir. Par contre cela avait l’air d’enchanter Esmeralda ! C’était bien une artiste ! Elle communiquait sa bonne humeur à toute la population du manoir ! Elle gardait son entrain malgré la situation….
Mais tout de même… Même si nous sommes quatre à mener l’enquête cela reste très risqué !
D’ailleurs que venait de dire l’intendante ? Elle avait pénétré dans la pièce suivie par l’inspecteur qui n’avait pas l’air dans son assiette d’ailleurs ! Quel étrange monsieur cet inspecteur. On dirait qu’il a aussi peur que nous !
Perle ne pu retenir un petit sourire à cette idée.

Une fois l’intendante partie, Perle observa les expressions des autres pensionnaires, ceux-ci paraissaient soit ennuyé de devoir rester si longtemps enfermer dans cette pièce, soit effrayé par l’annonce de la manière dont avait été tué le docteur…
Perle pour sa part était partagée entre plusieurs sentiments. Elle avait envie de se dégourdir les jambes et le fait d’apprendre qu’elle devrait encore passer peut-être trois ou quatre heures dans cette pièce qui commençait à devenir étouffante ne la ravissait gère ! De plus l’annonce de la cause de la mort du docteur l’avait soulagée d’un poids tout en l’effrayant malgré tout !
A cet instant elle se surpris à penser à Tara. La jeune femme était déjà partie depuis un certain temps… Que faisait elle en ce moment ?...
Perle sortit de sa rêverie en se rendant compte qu’elle s’était peut-être mise à rougir malgré elle… Personne n’avait bougé donc elle venait de s’inquiéter pour rien… De toute manière personne ne pourrait deviner ce à quoi elle pensait et les gens avaient la tête à des choses bien plus graves que les troubles d’une jeune femme!

De toute manière il fallait briser le silence pesant qui venait de s’installer dans la pièce et dans le petit groupe, Perle entreprit donc de relancer la conversation alimentée par cet élément nouveau !
Elle devait bien avouer que, de toute manière, elle n’avait plus vraiment suivi tous les propos qui s’étaient échangés après la venue du père Antoine… Seules certaines parties lui étaient parvenues dans les limbes de ses pensées …

Elle s’adressa en anglais au petit groupe qui l’entourait et se repris se souvenant qu’ils avaient décidé de poursuivre la conversation en français…
«Hé bien ! Le docteur Narcisse serait donc mort par intoxication à l’aide d’un gaz toxique ! Il fallait y penser je trouve… Moi-même je n’y aurait pas pensé… »
Elle se tu et attendit la réaction de ceux qui l’entouraient en les regardant chacun à leur tour …

Billy suivit l'intendante en traînant les pieds. Toujours outré de la manière qu'on ne le traitait mais pas assez courageux pour le dire ouvertement.
Dès qu'il fut entrer, il fuit automatique le regard des autres avec une mine pâteuse et il s'assit dans un fauteuil à l'écart.
Il décocha à l'intendante un regard vexé alors qu'elle commençait à parler en français.
Billy ne comprenait que très sommairement cette langue et il soupçonnait l'intendante de l'avoir fait exprès pour cacher de précieuses informations ou bien tout simplement de parler sur son dos pour l'abaisser aux yeux de tous.
Pendant que l'intendante parlait donc en Français, il se concentra à comprendre un peu mais aussi à dresser une liste d'indice qui ferait de l'intendante sa suspecte principale.
Par pure vengeance, évidemment.

Il eut assez vite une petite liste d'indice dans ce sens, ce qui lui redonna un peu de fierté. Premièrement, l'intendante l'avait empêché d'inspecter le lieu du crime. Deuxièmement, elle l'avait vite repoussé vers le salon. Peut-être parce qu'elle n'avait pas eu le temps de cacher des indices ?
Tandis qu'il était plongé dans l'approfondissement du troisième point qu'il avait trouvé contre l'intendante, celle-ci avait daigné traduire en anglais.
Billy interrompit donc aussitôt ses réflexions pour se concentrer sur se que disait Ernestine. A l'affût de renseignement mais aussi d'indice pour rallonger sa liste de preuves.
Quand il entendit la cause de la mort, il regretta de nouveau que son coéquipier ne soit pas là. Les morts tordues dans ce genre, c'était son rayon pas le sien.
Il n'aimait pas beaucoup cette idée de ronde et rajouter immédiatement se fait à sa liste d'indice.
Il trouvait curieux que l'intendante veuille à tout prix les rassembler dans une pièce ou à veiller que les patients sont dans leurs chambres.

*çà cache quelque chose.*
Songea-t-il en se frottant perplexe le menton.
Il jura de mener son enquête quoi qu'il lui en coûte.

*Même si j'ai des preuves contre Ernestine, il ne me faut pas oublier les autres. Me concentrer sur un coupable potentiel me ferait rater des indices.*

Il était rassuré, il avait quelque chose à transmettre à l'inspecteur finalement.

Le jeune prêtre accepta avec sympathie l'invitation à s'assoir de la vieille Mademoiselle Oliver... C'était à peu près la seule personne agréable de l'entourage, et il lui était reconnaissant de rendre le contact chaleureux avec les autres patients. Elle s'interrogeait sur ses connaissances en Anglais, à juste titre. Il est rare qu'un abbé de village parle ces langues étrangères modernes. En général les ecclésiastiques sont de fin connaisseurs des langues mortes utilisées à travers les âges. Seuls cardinaux et archevêques travaillant pour le Saint Siège et en correspondance avec les antennes du Vatican du monde entier avaient suivis l'apprentissage poussé de ces langues.

"Oh Mademoiselle! Mes connaissances en anglais sont très limitées... J'ai appris à le comprendre quelque peu ainsi que l'allemand sur le front d'Alsace...."

Antoine avait un pincement au coeur à chaque fois qu'il se remémorait cette partie de sa vie.

"Quoi qu'il en soit, je n'arrive à comprendre que l'essentiel, mais ça devrait suffire..."

La conversation se poursuivit, Miss Oliver traduisait pour Esmeralda. La vieille anglaise émit une idée qu'Antoine trouva jugée trop hâtivement... Comment savoir si le Dr Narcisse était bien la seule personne visée? Personne n'en savait rien jusqu'à preuve du contraire... On ne savait même pas de quoi il était mort...

Ensuite l'actrice prit la parole, en anglais bien sûr. Antoine ne saisit pas tout ce qu'elle dit, mais il ne pus s'empêcher d'émettre une petite exclamation sarcastique qu'il déguisa en toux légère lorsque cette dernière illuminée proposa de faire la fanfaronne pour dissimuler leur enquête aux autres pensionnaires. L'abbé s'abstint de tout commentaire... Il valait mieux...

La porte s'ouvrit en trombe sur l'intendante du centre poussant le gros inspecteur anglais dans la pièce... Il avait l'air d'un petit garçon prit en faute. Il s'abstint de tout commentaire et garda le silence pendant que la discutions se poursuivait. L'intendante révéla les causes de la mort de Narcisse.
Empoisonné.... L'annonce jeta un froid pesant sur l'assemblée.

Inhalation de cyanure... Bougrement compliqué. Le centre avait à faire à quelqu'un de particulièrement intelligent. De ce qu'il savait, le cyanure était surtout inoculé en injection, ou dans la nourriture.
C'était la première fois qu'Antoine entendait parler d'une intoxication par des vapeurs de cyanure...

La jeune saphiste émit naïvement cette hypothèse... Elle même n'y aurait pas pensé... Drôle de manière de s'innocenter...
Il y avait presque quelque chose de faux dans cette phrase... Décidément, beaucoup de personnes devenaient suspectes. Trop.

Le jeune prêtre était perplexe. Que fallait il penser de tout cela? De un, la personne était assez intelligente pour reconnaitre un poison mortel d'une autre substance, et pour en faire une utilisation assez inédite. Donc, de deux, cette personne ne devait pas vraiment avoir commis d'erreurs, et serait assez intelligente pour se faire passer pour quelqu'un d'innocent auprès des autres. En même temps la réaction de Perle était trop maladroite pour un assassin calculateur.

Mmmm dans ce cas il faudrait suspecter tout le monde, surtout les irréprochables...
Antoine avait horreur de cela! Quel cas de conscience terrible!Il n'était pas dans sa fonction de soupçonner les gens, ni de les juger sur de simples présomptions, mais au contraire de les guider vers le repentir s'ils s'étaient écartés du bon chemin...

Antoine prit tout de même la parole; choisissant ses mots avec circonspection.

"Permettez moi... Mais au vue des derniers éléments que nous venons d'apprendre... Il me semble que nous avons affaire à quelqu'un extrêmement intelligent... Et subtil. Il va falloir être sur nos gardes. Désolé Miss, mais pour le moment rien ne nous permet de dire que le Docteur était le seul visé.
Et quelqu'un d'aussi sophistiqué dans la façon de tuer doit être extrêmement habile pour se faire passer pour innocent..."

Le regard soudain perçant du jeune curé fixa plus qu'il ne l'aurait voulut Esmeralda, l'inspecteur, et même la jeune fille...

Oh Seigneur! Antoine avait envie de se recueillir et de méditer à tout cela paisiblement! Il aurait bien besoin d'aller prier en ce moment... Son coeur et son esprit étaient trop embrouillé pour pouvoir prendre des décisions justes....